Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/79

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principe d’équilibre établi au dix-septième siècle par l’effort de la France, était véritablement révolutionnaire. Poussée, comme tout ce qui vit, à se développer et à grandir, elle ne pouvait le faire qu’au prix des bouleversements les plus graves et les plus sanglants. Elle ne pouvait frayer sa voie qu’en foulant aux pieds toutes les conventions établies, et la guerre devenait nécessairement, dès ce moment-là, son « industrie nationale ». C’est un fait que le sombre avenir réservé par la Prusse au monde européen aura été entrevu par la monarchie française et par la papauté.

Lorsque celui qui devait être appelé Frédéric le Grand eut succédé à son père, notre représentant à Berlin, le marquis de Beauveau, fit tenir à son gouvernement un rapport détaillé, et dont tous les traits sont d’une justesse étonnante, sur le nouveau roi : le personnel diplomatique de l’ancien régime a toujours montré, comme en témoignent les documents, une instruction et une application supérieures. Le marquis de Beauveau avertissait donc qu’on n’eût pas à se méprendre sur le compte de Frédéric II : d’après ce que ce prince avait fait connaître de lui quand il n’était qu’héritier présomptif de la couronne et que ses escapades, ses difficultés avec son redoutable père étaient la fable de l’Europe. Beauveau présentait Frédéric tel qu’il devait se révéler : ambitieux, profond calculateur, habile à dissimuler, « voisin dangereux, allié suspect et incommode. » Faisant le compte des ressources en argent et en hommes que le roi-sergent avait laissées à son fils, le diplomate français concluait : « De là cette puissance nouvellement née en Europe, qui devient si redoutable entre les mains du fils qu’elle change, à mon sens, l’ancien système ou qu’elle peut du moins le changer. » C’était, indiqué en quelques mots, tout le grand débat sur la ligne de conduite de la France qui allait diviser notre pays au dix-huitième siècle.

La mort de l’Empereur Charles VI, l’ex-archiduc Charles, notre ancien adversaire dans la guerre de succession d’Espagne, semblait ouvrir de nouveau la question d’Autriche. Charles ne laissait qu’une fille, Marie-Thérèse, à laquelle, en accumulant les traités avec toutes les puissances, en collectionnant les parchemins, il s’imaginait avoir assuré sa succession. La maison d’Autriche tombée en quenouille, n’était-ce pas l’occa-