Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/80

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sion d’en finir, une fois pour toutes, avec l’ennemie héréditaire. Une grande partie de l’opinion publique, en France, le pensait. Deux siècles durant on avait combattu les Habsbourg. On les avait vaincus. Il s’agissait de les achever, de leur retirer à jamais la chance d’être élus de nouveau à l’Empire en y portant un ami et un client de la France (l’électeur de Bavière). Le gouvernement, — celui du prudent Fleury, — hésitait, pesait le pour, le contre, ne disait pas non quand il s’agissait de soutenir le Bavarois, mais ne trouvait pas mauvais que la maison d’Autriche restât telle quelle, encore affaiblie par la présence d’une femme à sa tête. Les recommandations suprêmes, si raisonnables, de Louis XIV, sur l’utilité d’une entente avec la Cour de Vienne, se présentaient naturellement aux esprits politiques. Le plus sage semblait d’attendre, de voir venir. C’était la pensée de Fleury, c’était celle aussi de Louis XV, encore jeune, encore bien tenu en tutelle, mais à qui le sens juste des choses de la politique ne manquait pas. Au grand conseil où fut examinée l’attitude qu’adopterait la France, Louis XV prononça ce mot curieux « Mon avis est que nous nous retirions sur le mont pagnotte. » C’est une locution vieillie et qui veut dire qu’on se place de telle sorte qu’on regarde les autres se battre sans entrer soi-même dans la mêlée, Encore timide, un peu indolent, Louis XV, qui voyait clair, par l’effet de son éducation, par position aussi, en vertu de la coïncidence de son intérêt avec l’intérêt du pays, eut le seul tort de ne pas imposer sa volonté. Quelle preuve que plus il y a de monarchie dans un État et mieux s’en trouve la chose publique, puisqu’en cette circonstance on ne peut reprocher à Louis XV que de ne pas avoir eu la main assez ferme.

L’année 1741 marque dans l’histoire de notre pays un succès de l’opinion publique, le triomphe d’un parti sur la politique royale, et cette date a été funeste. Une force aveugle, celle de la tradition, passée à l’état de routine, entraînait la foule, qui ne s’apercevait pas que les temps avaient marché, que les problèmes avaient changé d’aspect. Le péril commençait d’être à Berlin. La foule continuait à le voir à Vienne. La maison d’Autriche était à demi morte : on voulait pourtant reprendre, comme par le passé, la guerre contre la maison d’Autriche. L’historien rencontre ici un cas d’instinct pétrifié semblable à