Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/91

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tion complète de la puissance prussienne. Sans la mort de l’impératrice Elisabeth, qui changea le cours de la politique russe, Frédéric II succombait. Par la paix qu’il signa en 1763 à Hubertsbourg, il montra qu’il avait échoué à prendre dans l’Empire la place qu’il convoitait. Mais il conservait la Silésie comme nous conservions toutes nos positions continentales : la seconde guerre de Sept ans, à ce point de vue, n’avait eu aucun résultat, ne procurerait à la France aucun avantage matériel. C’est de nos jours seulement qu’on a pu se rendre compte qu’en arrêtant les progrès de Frédéric II en Allemagne, en interdisant aux Hohenzollern de mettre la main sur l’Empire, cette guerre n’avait pas été tout à fait stérile. Mais elle avait été profondément impopulaire. Tandis que la France était en lutte contre le roi de Prusse, l’opinion publique était prussophile. À Paris, on faisait tout haut des vœux pour Frédéric, on se réjouissait de ses succès. Dans l’armée elle-même, plus d’un officier, haïssant l’allié autrichien, ne cachait pas ses sympathies pour l’adversaire : c’était le cas d’un futur ministre de la Révolution, Dumouriez. Et puis, la guerre maritime avec l’Angleterre, qui s’était développée parallèlement à la guerre continentale, s’était terminée par un désastre. L’opinion, en réalité, s’intéressait peu aux colonies, témoin le mot fameux de Voltaire sur les « arpents de neige » du Canada. Le traité de Paris fut pourtant ressenti avec vivacité. On en fit retomber la responsabilité sur la politique autrichienne. La nouvelle alliance était cause de tout le mal, ceux qui l’avaient signée étaient coupables de trahison. Cette idée, si neuve, que le roi, héritier de ceux qui avaient fait la France, avec qui la France n’avait formé jusque-là qu’un corps et une âme, pût devenir suspect de trahison, cette idée s’élevait pour la première fois dans les esprits. L’échafaud de Louis XVI et celui de « l’Autrichienne » pouvaient dès lors apparaître à d’autres qu’au thaumaturge Cagliostro.

Par l’effet de ce malentendu qui, avec l’aide du temps, était destiné à croître, la tâche du gouvernement devint singulièrement lourde. Les complications, les obscurités dont s’entoure la politique extérieure de Louis XV dans la dernière partie de son règne, naissent de la difficulté que le roi éprouve à manœuvrer au grand jour. Il y a désormais, non seulement dans l’opinion publique, mais dans les ministères et jus-