Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fatale, l’un, Dumouriez, avait à cette date cinquante-trois ans, l’autre, Brissot, en avait trente-huit. Tous deux étaient nés au monde intellectuel au moment où, comme nous l’avons vu, la France était entrée en désaccord avec la monarchie au sujet des alliances. Avec tout l’ensemble du grand public, ils s’étaient nourris de la passion anti-autrichienne et prussophile. Arrivés au pouvoir, c’est cette passion, la grande passion de leur âge ardent, celui où se forment toutes les idées de l’âge mûr, qu’ils eurent à cœur de satisfaire.

C’est en ce sens qu’il faut entendre le « principe de continuité » dont Albert Sorel, dans le grand ouvrage historique qui a fait sa réputation, a établi qu’il était la loi et le principe directeur de la Révolution française. À la vérité, la Révolution, dans son œuvre européenne, n’a pas continué l’ancien régime : elle a prétendu le continuer en le corrigeant. Elle a voulu, par le plus curieux des phénomènes, revenir aux pures traditions de la politique française, altérées par les deux derniers rois depuis le renversement des alliances. En ce sens, la Révolution a été réactionnaire. À quel point la date de 1756 en domine le cours, c’est ce qui apparaît nettement par le texte fameux où le Comité de Salut public déclarait : « Depuis Henri IV jusqu’à 1756, les Bourbons n’ont pas commis une seule faute majeure. » C’est en 1756, par le traité de Versailles et l’alliance avec la maison d’Autriche, que la « faute majeure » avait été commise. Cette « faute », la Révolution triomphante prenait à tâche de la réparer.

Il importe de se représenter que la France, en 1792, était officiellement l’alliée de l’Autriche, aussi officiellement qu’elle est aujourd’hui l’alliée de la Russie. Mais cette alliance était impopulaire. Elle était attaquée de toutes parts et réunissait contre elle les forces de sentiment. Bien entendu, des raisonnements politiques ne manquaient pas de venir justifier les répugnances sentimentales. Pour engager la guerre contre l’Autriche, les Girondins se servirent d’arguments présentés par des hommes du métier. Les écrits de Favier fixèrent la doctrine et Favier, sous Louis XV, avait appartenu à la diplomatie, il avait même fait partie du personnel employé par « le secret du roi ». Une certaine connaissance des choses européennes, un habile emploi du langage diplomatique conféraient