Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/96

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politiques du dix-huitième siècle ne se guidaient pas par des raisons de sentiment. À l’endroit de la Révolution française, ils n’éprouvaient ni bienveillance, ni hostilité véritable. Ils la jugeaient comme un fait, et d’après l’opinion qu’on se faisait dans leur monde et parmi leurs devanciers des faits du même genre. Ils se rappelaient l’Angleterre écartée pendant tout le dix-septième siècle des affaires européennes par des discordes civiles, la Hollande asservie à sa voisine par la lutte des stathouders et des États. » À la nouvelle des événements de Paris, l’idée qui se présenta à tout ce qui gouvernait en Europe fut que les embarras du roi de France étaient les bienvenus. Tel calcula qu’il aurait désormais les mains libres en Allemagne, cet autre en Pologne, ce troisième sur les mers. Et chacun se mit en mesure d’adapter sa politique à la crise intérieure de France.

Mais, d’autre part, dans la France elle-même, la vie continuait. Pas plus à ce moment qu’à un autre on ne vit des hommes entièrement nouveaux prendre la place des anciens occupants : Thiers a remarqué, en racontant les péripéties de la restauration monarchique de 1814, que ces événements s’étaient déroulés devant la même toile de fond que l’Empire, le Consulat, le Directoire et la Terreur. Par l’effet naturel de la lenteur avec laquelle les générations se succèdent les unes aux autres, par la gradation insensible des âges, on voit à toutes les époques des vieillards et des hommes mûrs collaborer avec des hommes plus jeunes, et, par l’influence que donnent l’expérience des affaires et l’autorité acquise, les idées et les sentiments de la période antérieure s’imposent encore après que les institutions et les mœurs semblent avoir subi une transformation complète. Pour comprendre la politique de la Révolution, il faut tenir avant tout le plus grand compte de ce fait que les hommes auxquels elle dut sa direction initiale et le coup de barre qui allait marquer sa route pour vingt-cinq ans, apportaient des idées et des préjugés formés sous l’ancien régime. Ces hommes étaient directement sous l’influence de l’opinion qui avait régné une vingtaine d’années plus tôt. Ils représentaient le mécontentement qui s’était manifesté à la fin du règne de Louis XV, et c’est à ce mécontentement-là qu’ils devaient avoir tendance naturelle à obéir. Des deux hommes qui, en 1792, ont engagé la Révolution et la France dans une voie si