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HISTOIRE DE DEUX PEUPLES

un candidat vulgaire avant l’élection, c’est-à-dire obligé de promettre et de donner, il ne songeait, une fois le mandat obtenu, qu’à se dédommager de ses sacrifices et à rentrer dans ses frais. L’Empereur, cette demi-divinité, agissait exactement comme un de nos députés de sous-préfecture. L’historien anglais James Bryce, qui a étudié de près les institutions et les mœurs politiques du Saint-Empire, a décrit en termes énergiques les conséquences du système de l’élection appliqué à la majestueuse souveraineté de ceux qui se prétendaient les suzerains de l’Europe chrétienne : « Les Électeurs, dit Bryce, obligeaient le nouvel élu à prendre l’engagement de respecter toutes les immunités dont ils jouissaient, y compris celles qu’ils venaient à l’instant même de lui extorquer pour prix de leur vote ; ils le mettaient dans l’impossibilité absolue de recouvrer des terres ou des droits perdus ; ils s’enhardirent enfin jusqu’à déposer leur chef consacré, Wenceslas de Bohême. Ainsi garrotté, l’Empereur ne cherchait qu’à tirer le plus grand profit possible de son court passage au pouvoir, usant de sa situation pour agrandir sa famille et s’enrichir par la vente des terres et des privilèges de la couronne. » Quel jugement plus sévère porter sur un système politique ? Dans une de ces scènes touffues, au premier abord si obscures, de son second Faust, et qui sont de brefs tableaux allégoriques de l’histoire des hommes, Gœthe a représenté avec ironie l’Empereur et les grands, sous le couvert d’un noble langage, calculant, chacun pour son compte et de son côté, ce que leur rapportera l’opération du vote. James Bryce montre autre chose encore : c’est que la monarchie élective, « combinaison qui a séduit et qui séduira toujours une certaine catégorie de théoriciens politiques », n’avait pas même apporté à l’Allemagne les bienfaits que l’on croit devoir attendre de la désignation du chef à la majorité des voix. Celui qui était choisi n’était ni le plus capable ni le plus digne : en fait, la couronne impériale fut détenue par un petit nombre de familles qui s’efforçaient de ne pas la laisser échapper. L’habileté, l’intrigue, les