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Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/83

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était bien curieux, quand on le relisait pendant la guerre de 1914 au bruit des malédictions dont la perfidie prussienne était couverte. Pour Michelet, pour l’histoire telle qu’on l’a écrite jusqu’en 1870, ce sont les sycophantes slaves qui se sont ligués avec Tartufe contre le loyal Hohenzollern. Kaunitz, le ministre de Marie-Thérèse, l’auteur de la coalition franco-austro-russe qui faillit anéantir la Prusse, Kaunitz reçoit cette injure — suprême au temps où écrivait Michelet : c’est un Slave, un Slave hypocrite, un « Slave à masque d’Allemand ». Parlez-nous d’un loyal Germain comme Frédéric !

Le roman historique de Michelet est un scandale pour l’intelligence quand on le confronte aux résultats funestes que la grandeur de la Prusse a portés pour la France, l’Europe et la civilisation. C’est l’opprobre de la science et de la critique quand on le compare aux délibérations soigneuses, à l’examen des inconvénients et des avantages de l’opération, examen dont le renversement des alliances fut précédé. En toute lucidité, se référant aux expériences successives et malheureuses qu’il venait de faire avec le roi de Prusse, le gouvernement royal se décidait à adopter un nouveau système, non pas pour changer la politique de la France en Allemagne, toujours fondée sur les traités de Westphalie (« qui assurent à la France, tant qu’elle saura se conduire, la législation de l’Allemagne », disait Bernis), mais pour adapter cette politique à des circonstances nouvelles et à de nouveaux besoins. Albert Sorel a bien remarqué que cette idée n’avait pas surgi d’un jour à l’autre dans quelques cerveaux. Un travail préparatoire l’avait mûrie. Qu’on est loin d’un coup de tête et d’une fantaisie ! En 1737, en 1749, en 1750, en 1752, les instructions de nos ambassadeurs en Autriche témoignent des réflexions du pouvoir. En 1750, l’instruction du marquis d’Hautefort dit avec netteté que « le roi n’est nullement affecté des anciennes défiances qui, depuis le règne de Charles-Quint, avaient fait regarder la maison d’Autriche comme une rivale dangereuse et implacable de la maison de France ; l’inimitié