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Page:Bainville Les conséquences politiques de la paix 1920.djvu/99

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ILS IGNORERONT

cet homme qui ébranla la terre, qui fit tomber les empires ? » Six mois plus tôt, cette hémi­plégie eût changé la physionomie et l’avenir du monde. Cette prodigieuse histoire se trouve mêlée à notre histoire nationale. Il n’y a rien d’aussi cruel dans Candide et dans Gulliver.

Le Français qui ne verrait que la dérision de ces choses n’aurait ni enfants, ni frères, ni amis. Toutes ses fibres seraient séchées. Déjà, en 1914, un nihiliste excité par la volupté des ruines, ou encore un émigré stérile et méchant auraient pu goûter le comique nocturne de la nouvelle invasion, cette morale de la fable s’exerçant, pour la cinquième fois en trois âges d’homme, aux dépens de la démocratie. Et au­jourd’hui encore, la démocratie est retombée dans ses anciennes erreurs, dans ses vieilles illusions. Quelles tentations pour l’ironie ! Mais il faudrait que le persifleur lui-même ne fût exposé à souffrir de l’événement ni dans sa per­sonne ni dans ses intérêts. De nos jours, l’Ec­clésiaste serait dans le cas d’être mobilisé jus­qu’à cinquante ans : il y perdrait de sa sérénité d’esprit. Quant à Voltaire, il retiendrait sa plume pour ne pas être accusé d’insulter au malheur public.

Un jour, peut-être, l’heure de la raillerie transcendante viendra si les hommes retrouvent le loisir et l’humeur de railler. Tant d’espé­rances fauchées, de sacrifices à demi perdus, d’efforts à recommencer arracheraient plutôt des larmes à un grand poète patriote, à un Vir-