Page:Baju - L’Anarchie littéraire, 1892.djvu/20

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à son aise ; les yeux ont une sorte d’attirance magnétique ; ombragés sous des sourcils épais, à demi cachés sous des paupières presque immobiles, ils donnent l’impression d’un être mystérieux à la fois cruel et doux ; la dilatation des paupières, le teint vermeil des lèvres dénotent de formidables appétits sensuels. L’encolure, le buste, les jambes, toute la musculature est celle d’un hercule forain. Sous la peau blanche et fine, le sang afflue et fait éclater dans toute leur force la vie et la santé.

« Le vêtement moderne, si favorable aux hommes mal faits, lui est désavantageux. Ernest Raynaud, généralement insoucieux des choses du dehors, n’y apporte pas la vanité qu’y consacrent la plupart des Décadents. Il laisse à son tailleur une autonomie complète. Aussi, dans la rue, il se fond absolument dans l’impersonnalisme bourgeois.

« Au point de vue gastronomique, c’est un gourmet de la plus haute valeur, un dilettante de cuisines savamment préparées, mais qui n’aime pas moins l’abondance que l’exquisité des mets. Après le diner, il erre longuement sur les boulevards à la recherche de quelque pensée fugace qu’il va ensuite fixer en vers irréductibles à la terrasse d’un café. Là, assis devant un bock au milieu d’une foule affairée et bruyante, il fait abstraction du monde extérieur et travaille aussi facilement que dans la solitude du cabinet. Parfois il regarde passer les femmes, les petites femmes aux formes voluptueuses : trop soucieux de son hygiène pour négliger la culture du sixième sens, il estime qu’en l’état actuel de notre civilisation l’amour est une des plus utiles fonctions de l’organisme.

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