Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/102

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L’adulte doit surveiller l’enfant, même si « cet enfant ne lui appartient pas ». On sait que l’architecture panoptique a été utilisée aussi bien dans les prisons que dans les lycées. Jamais un enfant ne doit être « livré à lui-même ». Dans les lieux publics, tout adulte a le droit de jouer au policier et de veiller à faire respecter les usages aux enfants. D’un autre côté, les parents peuvent garder leurs prérogatives d’adultes face à leurs enfants devenus adultes. On a vu des gens « enlever » impunément leurs fils et filles de plus de dix-huit ans, les séquestrer même pour les « soustraire à l’influence d’une secte » et tout le monde trouve ça très normal. D’une certaine façon d’ailleurs, les parents gardent sur leurs enfants un droit de vie et de mort. Ils décident par exemple de la nécessité d’une opération chirurgicale. On a mis au point une « psychochirurgie sédative » pour les enfants difficiles et un médecin indien, parlant d’un de ses récents opérés, déclare : « L’amélioration constatée est remarquable. Une fois, par exemple, un patient avait assailli ses camarades et le personnel soignant de la salle. Après l’opération, il est devenu très coopératif et il surveillait même les autres[1]. » On ne peut pas s’y tromper, voilà le parler d’un homme dans toute la plénitude de ses moyens intellectuels, un langage adulte !

Je ne veux pas jouer les malignes devant toi. Une fois au moins dans ta vie je t’aurai fait mon numéro de propriétaire. (Face à une amante ou un amant, sans doute d’ailleurs aurais-je eu la même inadmissible attitude et ce n’est pas à mon honneur.) Tu avais neuf ans. Tu connaissais ma grande aversion pour cette pratique aussi avais-tu dû bien mûrir ta décision en m’annonçant que tu comptais te faire percer les oreilles. Je changeai de visage et engageai la lutte : « C’est une coutume absurde et barbare, c’est une forme de mutilation inexplicable. Tu feras ce que tu voudras, je sais bien que tu ne me demandes pas mon avis, mais j’aurai de la peine. Réfléchis un an. » Tu es sage et n’insistas pas davantage ce soir-là. Quelques jours après, tu revins à la charge ; cette fois, j’usai du plus abject argument : « Mon amour, ça va me faire mal ! » Une semaine plus tard, face à ta tranquille obstination, j’usai de la culpabilisation : « Tout ça parce qu’une telle et une telle ont les oreilles percées. Bravo ! Belle originalité ! » Je me sentais quand même mesquine et tentais de justifier mon refus en me disant : « Ça ne vient pas d’elle ! Ce n’est pas à elle que je refuse quelque chose. » J’allai plus loin encore dans l’hypocrisie le jour où je te dis : « D’accord ! Je ne m’y oppose pas mais tu te débrouilles sans moi. Non seulement je ne veux pas m’en occuper mais je ne te donnerai pas un sou pour ça ! »

  1. Cité dans Les Temps modernes, avril 1973, p. 1776.