Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/103

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Oui, j’ai honte ; ça te fait rire ? Tu t’es facilement passée de mes services. Stoïque, tu as supporté plusieurs semaines de gêne ; ça s’était infecté puis cicatrisé trop tôt ; tu es retournée les faire percer une nouvelle fois. Je me suis habituée et je t’offre à présent des pendants d’oreille. Mais si, ça te va bien !

Bien sûr que je suis dans le même sac que tous les autres. Les parents libéraux ne sont pas les moins autoritaires et j’en ai vu d’une dureté incroyable quand il s’agissait de « faire acquérir son autonomie à l’enfant ».

L’autonomie de l’enfant ! Je lève les yeux au ciel et soupire…

Faisons-nous ce petit plaisir : disons à voix bien haute que jamais je n’ai « voulu ton autonomie ». Il y a deux ans, tu ne dormais encore qu’à mes côtés ou près de ta Granny. La moins autonome des gamines ! Ce n’est pas toi qui aurais pris le bus toute seule à six ans ! Certes, je n’ai vraiment rien contre le fait de prendre seul le bus à six ou soixante-six ans, si personne ne vous y oblige d’une manière ou d’une autre. Bien sûr que ça m’aurait arrangée que, dès l’âge de cinq ans — ou de deux ans, pourquoi pas ? —, tu ne dépendes plus de moi pour tes déplacements dans Paris. Tu aurais été autonome, ma chérie, quel pied !

Mais je ne voulais pas ton autonomie. Ça ne faisait pas partie de mes projets. Car je ne voulais rien pour toi, je n’ai jamais rien voulu pour toi, je n’ai jamais eu le moindre projet de te voir devenir ni comme ci ni comme ça. Hier « bien élevé » voulait dire « policé », aujourd’hui « autonome ». Mais il s’agit toujours d’éducation et je n’ai aucun « charisme éducatif » sous prétexte que j’ai désiré mettre au monde de la vie. On peut dire que tu m’auras surprise ! Je t’ai laissée pousser comme un champignon, « abandonnée à toi-même » et je n’ai pas cessé depuis le 20 avril 1971, 18 h 50 de m’étonner. C’est cela, un enfant ? Comme c’est beau un être qui se déploie tout à son aise, qui fait ce qu’il a envie de faire ! Ça m’a donné envie… Envie de vivre comme toi, tranquillement.

Soudain, il y a deux ans, ton corps a changé beaucoup, ton visage a pris une expression autre, tu n’as plus dormi avec moi ; tu t’es débrouillée seule pour pratiquement tout et j’ai compris que l’enfance était passée. La fameuse autonomie était venue en son temps et assurément je n’y étais pour rien ! Douze ans et demi où nous avons été heureuses de tout partager et toute la vie ensuite devant nous pour savourer nos deux nouvelles indépendances. J’ai eu vraiment de la chance de vivre avec toi ! Pars quand tu veux, reviens quand tu veux. Rien d’autre ne nous lie qu’une profonde et confiante amitié.