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Tu sais bien ce que nous disait avant-hier Corinne : « C’est peut-être dégueulasse, mais je reconnais qu’en tant que prof j’ai un poids que n’ont pas les autres parents. Je joue sur la terreur qui règne dans l’institution et je peux me permettre de faire aux enseignants de ma fille des critiques ou des suggestions que jamais d’autres parents ne feraient. » Dégueulasse… ? Que veux-tu Corinne, c’est la jungle. Moi je ne me sentais pas capable de dépenser toute mon énergie pendant tant d’années dans cette guerre-là pour nous défendre Marie et moi, comme Suzanne fait pour Judith, comme ma mère l’a fait pour ses trois enfants.

Les rares expériences tentées pour obtenir une « coopération efficace » entre parents et enseignants ont pratiquement toujours été un formidable fiasco. Dans les écoles de pointe, « où l’on vit des rapports nouveaux », on s’offre le luxe de découvrir que les rapports ne peuvent pas changer tant que les gens restent enfermés dans le rôle social que la société les amène à jouer. En 1975, des enseignants de Vitruve (l’avant-garde !) écrivaient : « En ce qui nous concerne nous ne sommes plus dupes, après l’avoir pratiquée de nombreuses années, de la soi-disant ouverture de l’école aux parents qui, dans la stratégie ministérielle, ne vise qu’au renforcement du projet éducatif en place. Toutes les critiques qu’ils apportent en général ne concernent qu’une humanisation des rapports à l’intérieur de l’institution scolaire. Il faut avant tout que l’École continue à permettre la promotion sociale de leurs enfants. À Vitruve, certains parents ont utilisé l’ouverture de l’école pour veiller à ce que la reconnaissance des différences interculturelles ne fasse pas “baisser le niveau” et ne défavorise pas leurs gosses[1] ! »

Nous nous souviendrons longtemps de notre premier contact avec l’éphémère « collège autogéré ». Là, tout était vierge, tout était encore possible. Tu fus renversée comme moi par la première discussion à laquelle je me mêlai. J’avais pris ces notes texto ; je dis :

« Si vous tenez à avoir des enseignants, pourquoi justement les prendre parmi les professeurs ?

– T’achètes bien ta viande chez le boucher !

– Moi aussi j’ai appris des choses que je peux transmettre…

– C’est quand même plus simple que l’enseignement soit l’affaire des enseignants !

– ??? Chacun, professionnel ou non, ne peut-il proposer aux enfants et aux adultes ce qu’il aimerait faire partager ou approfondir ?

  1. Autrement, avril 1978.