Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/116

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– Je crois que tu t’es trompée de lieu. Ici, ce n’est pas un lieu de vie… »

En effet, on sentait venir la mort et le projet était condamné d’avance. Il s’est déjà trouvé des médecins, au M.L.A.C.[1] par exemple, pour dire que la médecine pouvait être prise collectivement en charge par les gens ; mais qu’ils viennent me réconforter les enseignants qui œuvrent réellement pour que l’enseignement ne soit plus l’affaire des spécialistes ! Tant qu’à faire les clercs, quelques-uns auraient pu jouer les « prêtres-ouvriers » et aller enseigner les mathématiques ou l’histoire dans les usines…

Ah ! Y’a plus de vocation, ma petite demoiselle !

Dans notre société, tous les étudiants quels qu’ils soient et à tout âge devraient être payés ; tant que les écoles normales seront les rares établissements à offrir pareil appât, elles resteront un pôle d’attraction pour n’importe qui ayant besoin de gagner rapidement sa croûte. Sans compter qu’on peut être instituteur suppléant sans avoir fait l’école normale. Il suffit d’avoir le bac. Quand ils ont choisi leur métier, l’instituteur ou le professeur se sont, la plupart du temps, laissé séduire par les avantages de la fonction publique et les plus futés par la perspective de longues vacances.

Quant aux enseignants du deuxième degré, j’estime à 0,5 % la proportion de ceux que tente l’enseignement. Les autres, dans le meilleur des cas, étaient attirés par les études de philosophie, de physique ou de littérature et n’avaient guère de débouchés. Je dis « dans le meilleur des cas », car il est probable que même le choix des matières étudiées dépende relativement peu du plaisir qu’on en escompte. Bourdieu et Passeron font remarquer que la faculté des lettres peut servir de refuge pour les étudiants de la bourgeoisie socialement « obligés » à une scolarité supérieure qui s’orientent, par défaut d’une quelconque envie, vers ces études qui leur donneront « l’apparence d’une raison sociale ».

Évidemment, dans ces conditions, Neill, à Summerhill, qui exige de ses éducateurs qu’ils soient disponibles aux enfants vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a fait figure de fou. On peut se demander si l’épuisement des adultes et le sacrifice de soi ne sont pas des contraintes supplémentaires pour les enfants.

Mais je comprends parfaitement que Neill puisse s’exaspérer du peu d’intérêt des enseignants pour leur métier et veuille rompre avec leur

  1. * Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.