Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/127

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précédemment effectuée. » Décidément, non. Même en terminale, on ne peut pas apprendre à lire au sein de l’Éducation nationale. Toujours les inspecteurs veillent à l’instruction obligatoire (ce n’est pas un privilège français ; l’inspecteur qui visite Summerhill constate que les enfants sont heureux mais que « c’est un lieu où il est difficile d’étudier » ; à ton avis, qu’entendait-il par « étudier » ?).

Il y a un poison dans l’école. Tout ce qui y touche devient mortifère. Regarde ce malheureux Piaget. Il s’oppose à la psychologie traditionnelle qui définissait l’apprentissage comme une « modification du comportement résultant de l’expérience » (ce qui fait de l’enfant un élément passif subissant son environnement). Skinner et les adeptes du conditionnement, Erikson, d’autres, avaient admis finalement l’activité de l’enfant quand il parvient à un certain âge, mais Piaget va bien plus loin. Il dit que, dès sa naissance, l’enfant commence à développer des structures cognitives à partir de ses propres actions et qu’il s’agit là d’un processus inné et inéluctable[1].

Inutile d’insister sur le fait que cette idée est fondamentale pour les gens qui se piquent de pédagogie. Car si l’intelligence est un processus de construction ininterrompu dont le déroulement est identique pour les enfants de toutes cultures[2], la connaissance n’est pas reçue de l’extérieur mais c’est l’enfant qui la construit de l’intérieur dans un échange permanent avec le milieu. Il ne procède pas par addition, mais par substitution. Il ne « sait » pas une, puis deux, trois, dix, cent choses, mais il connaît les choses et son intelligence progresse par « intégration », ses idées se transforment en idées de plus en plus élaborées (ne s’ajoutent pas). Conséquences pratiques qu’en tirent les enseignants ? Ces nigauds ont réussi à mettre au goût du jour des tests normalisés pour contrôler le « développement » intellectuel de l’enfant et tentent, surtout en maternelle, d’accélérer le développement sensori-moteur des tout-petits[3]. Peut-être que Piaget a eu un peu tort d’insister sur la fixité de l’ordre (le temps en étant variable) dans les stades du développement. Il a surestimé ici l’intelligence de ses lecteurs qui n’ont sans doute jamais entendu parler du principe d’incertitude de Heisenberg ni du paradoxe de Schrödinger, lesquels ont introduit, en physique quantique, l’idée que l’observateur passif était en réalité un participant actif. Les psychologues croiraient déchoir en acceptant que la « cible » observée est modifiée par l’expérimentateur

  1. Cf. Mes idées, Jean Piaget, Bibliothèque Médiations, Denoël Gonthier, 1977.
  2. Cf. Six expériences de psychologie, Jean Piaget, Denoël Gonthier, 1964.
  3. Cf. Piaget à l’école, M. Schwebel et J. Raph, Denoël Gonthier, 1976.