Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et nient le poids de leur regard sur ceux qu’ils lorgnent. De toute façon, les sciences, qu’elles soient exactes, humaines, occultes, restent fondamentalement suspectes, elles donnent trop raison à Einstein : « Dans les sciences, la mode a presque le même rôle que celui qu’elle joue dans le vêtement des femmes. »


Le savoir-vivre se perd, ma très chère… L’éducation demeure… On peut s’attendre dans la décennie qui vient à des réformes profondes. Elles iront toutes dans le sens d’une meilleure rentabilité. 2,3 % des enfants ont un quotient intellectuel supérieur à 130 ; 0,4 % ont plus de 140. Faisons-en deux petits tas, ils seront maîtres et contremaîtres de l’usine de demain, à eux l’atome, les moyens de communication, l’espace. Aux autres la morale : le droit au travail, le droit à la sécurité, le droit à la loi, le droit à la vie, le droit à la mort et les devoirs y afférents.

Juste avant la lutte sublime entre écoles libre et laïque, la marotte des journalistes chargés de la rubrique « Éducation » agitait ses grelots parmi les « surdoués ». Nul besoin d’être sorti de la cuisse de Jupiter pour constater qu’il y a autant d’imbéciles chez les surdoués qu’ailleurs. Mais ça les a apparemment surpris… (Rien en vérité n’étonne les journalistes, leur métier consiste à « en avoir trop vu » mais aussi à feindre l’étonnement pour garder quelque fraîcheur à l’information.) Qu’est-ce que le quotient intellectuel ? L’objectif initial de Binet était d’évaluer les risques d’échec scolaire. Les tests en question sont conçus en fonction d’hypothèses sur la réussite scolaire, ce qui permet à Albert Jacquard de dire qu’il est absurde d’étendre la signification du Q.I. à l’intelligence. Le Q.I. est « un nombre dont nous ne savons pas quel objet il mesure », conclut-il. Un chercheur américain, Donald Hoyt, a de son côté entrepris une enquête sur plusieurs années, comparant les résultats universitaires et la « réussite » dans la vie. Dans aucune profession, il n’y a de corrélation entre les notes obtenues à l’université et ce qui est accompli et « réussi » plus tard dans la vie.

Ne suis-je pas en droit d’en tirer la conclusion que, si le Q.I. mesure l’aptitude à faire des études et si la réussite scolaire n’est pas un gage de compétence professionnelle, le Q.I. n’offre aucun intérêt même du point de vue de la rentabilité ?

Pourtant, si je t’en parle, c’est que le danger nous menace d’être « testés » de plus en plus fréquemment, de plus en plus tôt. Il ne me semble pas inutile de répéter que s’en plaindre ne sert à rien ni à personne. La seule force à opposer, c’est notre non. Les enfants comme les parents qui acceptent les « tests d’orientation » sont inconscients.