Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/134

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En France, il y a eu de grands poètes (on peut en nommer six ou sept) ; dans les autres pays peut-être aussi. Au Moyen Âge, on a construit des cathédrales. Louis XIV était autoritaire. Louis XV était faible. Louis XVI était très faible. Denis Papin est un savant. On ne répète pas le même nom dans une phrase. Botticelli est un peintre italien. Picasso est espagnol. Delacroix est français. Voltaire a écrit Candide, Proust À la recherche du temps perdu. Saint Louis rendait la justice sous un chêne ; en physique, il y avait des histoires de limaille de fer et de boussoles… »

C’est trop fastidieux, je m’arrête, admettons que je puisse continuer sur trois, disons quatre pages… Est-ce que vraiment ça valait toute la peine qu’on s’est donnée pour ne retenir que ça ? La différence entre celui qui sait ces quatre pages et toi, c’est que tu en sais d’autres et que ça ne t’a pas coûté le plus petit effort.

Évidemment, qu’on ait fait des études ou non, on sait bien plus que ces quatre pages, mais ce n’est pas à l’école qu’on les a apprises, c’est dans les livres, par des récits, la radio, les voyages, les amis, la télévision, etc. Ceux qu’on appelle ordinairement les analphabètes ne sont pas non scolarisés comme toi, il faut dire et répéter que ceux-là ont été bel et bien massacrés à l’école.

Il est gênant dans notre société de ne pas savoir lire ni écrire ; j’en conviens. Mais on a un peu trop tendance à faire comme si les analphabètes « ne savaient rien, pas même lire » ; or, ceux-là, je les connais, je les rencontre parmi ceux que je vois en prison par exemple, savent autant de choses que n’importe qui de leur milieu, Francis est incollable en botanique, Fernand compte admirablement, Joëlle connaît des dizaines de poèmes. Mais ils ne savent pas lire. Ils ont même « horreur » de ça. Cependant, s’ils avaient eu la chance extraordinaire d’apprendre à lire comme toi avec une grand-mère intelligente (la leur ou une autre !) des phrases qui les auraient fait rire ou s’émouvoir dans un petit cahier qui ne ressemblera jamais à aucun cahier, avec ta vie à toi, tes idées à toi, tes fantaisies à toi, tes rires à toi, ton envie d’écrire à toi, s’ils avaient eu cette chance, comment auraient-ils « horreur de lire » ?

« Tout le monde n’a pas une Granny. » Non, mais je connais des grand-mères qui s’ennuient, un professeur d’université en biologie qui fait de l’alphabétisation (je suppose que ça lui plaît, sinon, c’est du vice) et des millions de gens sur cette planète qui aimeraient faire comme ta Granny. Cependant, ils n’osent pas, ils « ne sauraient pas ». Ils gardent le souvenir enfoui d’un apprentissage très long, très difficile. Sans s’apercevoir qu’un enfant ou un adulte qui désire apprendre à lire se montre très doué, toujours.