Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/139

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diplôme, personne n’a jamais exprimé la crainte que tu sois moins instruite ou moins cultivée que d’autres. Et pour cause. N’es-tu pas « normalement constituée », donc réceptive à tout ce qui circule autour de toi ? T’a-t-on jamais caché quoi que ce soit ?

Comprendre les circonstances au milieu desquelles on se trouve suppose, je suppose, qu’on se soit individualisé ; et l’on se montre surpris que l’adolescent « doive » s’opposer au monde pour se situer. Mais l’a-t-on jusqu’alors regardé lui-même ou n’a-t-on vu en lui que l’enfant, celui à qui on ne peut parler que d’enfantillages ?

Parmi les enfantillages, toute cette culture de pacotille qui, loin d’aider à comprendre votre propre vie, vous oblige à ne tirer de l’histoire, la chimie ou la littérature qu’un savoir en « kit ». Avoir fait de la culture — notre héritage — une aliénation de plus est un tour de force, reconnaissons-le. C’est sorti de l’école qu’on apprend à parler, à penser, à regarder et qu’on peut enfin seulement accéder à son désir de se considérer soi par rapport aux autres. Ici commence l’aventure.


L’aventure de la connaissance. Aventure amoureuse entre toutes.

Savoir est de l’ordre des acquisitions, lesquelles sont fixes et limitées. Connaître est un mouvement de l’être vers le monde : une venue au monde dans la conscience qu’on fonde un rapport, un lien avec lui. C’est de la solitude originelle et de la séparation natale que jaillit le désir d’établir un rapport. La connaissance relie l’être à ce dont il naît séparé.

Les Grecs ont toujours su que l’attirance qu’on éprouvait pour elle était du même ordre que le désir le plus érotique ; au banquet donné en l’honneur d’Agathon, Alcibiade, beau entre tous, brillant, trop brillant, fait l’éloge de Socrate, de ses beautés secrètes ; c’est pour acquérir son étrange savoir qu’il a tenté de le séduire[1]. Et si les convives rient de cet aveu candide, nul cependant ne s’en étonne.

La connaissance est un mouvement amoureux porté par fascination, désir, passion, tendresse. Dans cela qui nous attire ainsi, l’amour n’est nullement une analogie. Ce n’est pas comme une histoire d’amour ; ce qu’on appelle ordinairement « histoire d’amour » est une histoire de connaissance, la recherche et l’invention du sens.

Avec ses savoirs bavards, l’école nous fait perdre du temps, jamais elle n’apprendra à aimer. Ne serait-ce déjà que parce qu’elle falsifie la

  1. Le Banquet, Platon, 217a.