Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/140

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solitude, « socialisant » à outrance le tout-petit qui n’a besoin pour se repérer dans le monde que de prendre conscience de sa singularité. L’instruction obligatoire n’est pas un mode de formation parmi d’autres, mais celui qui les confisque tous, qui confisque toute volonté de connaître, c’est-à-dire de se reconnaître en manque et en désir de sens. À la découverte de ce qui n’est pas soi et au trouble si émouvant qu’il en ressent, l’enfant répond plus ou moins timidement par sa première ouverture. Premier risque, première réponse aimante au Secret. Et c’est alors que l’envahisseur étranger, le scolaire, pénètre dans cette brèche du désir de comprendre.

Peut-être qu’après des années de cette occupation, l’enfant possède quelques savoirs au-dedans de lui, mais qu’est-il advenu de ce qui aurait démultiplié sa conscience d’être en désir de ce qui n’est pas lui, de ce qui n’est pas encore lui ?

Ainsi, Marie, les gens sont en général minuscules et ils sont rares ceux qui nous émerveillent par la grandeur de leur être. Ceux-là aiment d’amour les étoiles, les insectes, la géométrie, les corps, les idées ; le monde leur appartient. Des noms communs ils ont su faire des noms propres. On s’étonne de leur disponibilité, c’est qu’ils sont entrés dans la connaissance avec l’ardeur du désir des amants : tout leur est bon, en vérité. Cette bonté du monde nous est extérieure mais n’est que par nous, l’extérieur n’est que par nous. Et pourtant, comme il est vrai que ce qui nous est autre est absolument autre !

Tout le miracle de l’amour, tout le miracle de la connaissance se noue dans ce somptueux mystère. Savoir et posséder nous limitent. L’école se réclame de la « transmission du savoir », massacrant par là même nos envies originales et particulières de nous avancer en manque vers le monde pour nous l’approprier et nous grandir à sa mesure.

Marie, je t’ai voulue au monde, mise en ce monde et cet acte supposait de ma part une certaine foi en ce qui était à même de se créer entre lui et toi. Mais cette création n’était possible qu’à partir de toi seule et toute éducation aurait miné tes énergies. Je n’ai rien prévu dans l’infinité de ce qui pouvait être. Simplement j’ai cru en cela et l’ai défendu contre tout ce qui t’aurait empêchée d’accéder au désir de t’y engager.

J’aime que depuis l’âge de quatre ans, cela va faire presque dix ans, tu continues à demander « ce qui fait l’origine des choses ». Les enfants cessent ordinairement d’être métaphysiciens à l’âge de raison. Mais toi, tu ne te contentes pas de mon silence et restes bravement face à la béance. Rien ne te détournera de ton désir de comprendre.