Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/143

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toujours ridicule de réclamer une libéralisation de la loi ; nous prenons ce qui nous agrée. Le feu qui a fait de nous des hommes créateurs a été, par Prométhée, dérobé aux dieux.

Je ne m’étonne nullement de ce qu’aucune drogue ne t’ait encore tentée. L’esprit d’enfance consiste à regarder la vie avec une naïveté superbe et il faut déjà l’avoir oublié pour aimer la retrouver, la travailler, lui faire exprimer une pensée différente. L’enfant est naturellement drogué par la vie elle-même. Toujours il évolue dans cet « état » bizarrement appelé « second » et qui est l’état premier, celui de l’immense surprise.

L’enfant connaît. La blessure de la méchanceté l’a transpercé et marqué tout bébé la première fois qu’il a perçu la haine dans le regard de sa mère ou de son père. Haine classique de quelques instants chez les « meilleurs parents du monde » peut-être à l’issue d’une nuit d’insomnie, mais haine authentique, inoubliable, inscrite. Dès lors, l’enfant connaît la mort, la solitude en amour, il a subi l’essentiel de la douleur. Il en est encore tout violenté ; sa vulnérabilité étrange est celle-là même qu’on retrouve dans l’hypersensibilité propre à l’état où l’on entre quand on absorbe du L.S.D. Je n’entends jamais les hurlements d’une colère enfantine sans me dire : « Il a compris. »

Il est bon, il est utile de pouvoir retrouver son esprit d’enfance. Bruno Bettelheim a écrit une très belle page[1], entre autres, sur ce qu’on appelle à tort et à travers la régression. Il dénonce cette conception ridicule selon laquelle certains comportements sont ou devraient être limités à un âge spécifique et analyse très bien l’étroitesse d’esprit occidentale qui conçoit la progression comme étant une démarche du moins vers le plus. Je pense à ces paragraphes quand on me dit : « Supprimer l’école est une régression. » Je ne retourne pas en arrière, je tire de mon expérience passée ce qui est bon pour mon avenir. Si je joue ou fais un câlin « comme quand j’étais petite », c’est bien dans mon âge que je le fais, et c’est ma façon, consciente de tout ce qui s’est passé après mon enfance, de vivre au mieux la situation présente. Je n’espère pas revenir au temps d’avant l’école obligatoire ; je veux celui d’après l’école obligatoire.

Je répète à la suite de Métrodore : « Je ne sais qu’une chose : que je ne sais rien », je le dis à l’issue de trente-sept ans où je n’ai fait qu’apprendre et désapprendre, et non avec ce regret lancinant de n’avoir rien fait que j’ai connu à la fin de mes études. L’insatisfaction intellectuelle ne m’est plus amère : je n’ai connu le bonheur, exclusivement, qu’auprès de ceux qui

  1. La Forteresse vide, op. cit.