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fameux « tribunal ». Les enfants pouvaient bien sûr citer les membres adultes du personnel aussi bien que ceux de leur âge. Korczak lui-même dit y avoir été jugé cinq fois (pour avoir tiré les oreilles d’un garçon, mis à la porte du dortoir un chahuteur, envoyé un autre au coin, insulté un juge, soupçonné une petite fille d’avoir volé) ; quatre condamnations, un acquittement. L’équité des juges, le respect des droits de la défense et l’aspect sensé des punitions ont fait, entre les deux guerres, d’admiration de tous les visiteurs de l’époque.

J’ai déjà dit l’estime que j’ai pour Korczak ; je ne partage néanmoins pas toutes ses vues. Je ne peux pour ma part refuser l’institution scolaire et accepter une institution judiciaire quelle qu’elle soit. Je refuse ce qui est obligatoire, c’est-à-dire les lois.

Si j’ai participé — passionnément — à la Barque, c’est que nous y avions chacun des idées différentes sur l’« éducation » et que notre seule cohérence reposait sur la volonté individuelle de tous de refuser les « lois de groupe ».

Peu l’ont compris, pas seulement parmi les pourvoyeurs d’articles en tout genre pour journaux chics mais aussi chez les penseurs professionnels. Guy Avanzini (professeur des sciences de l’éducation à l’université Lyon II) reprochait à ces lieux anti-scolaires, entre autres, de se vouloir anti-autoritaires et de méconnaître que ce choix était lui-même une contrainte : « Ne faudrait-il même pas se demander tout spécialement si la décision de placer les enfants en dehors de la société globale n’émane pas de familles fort “autoritaires”, en ce sens précis qu’elles limitent la liberté ultérieure et les possibilités réelles de choix de leurs enfants ? » (Autrement, n°13, avril 1978.)

Je n’ai jamais senti que les enfants fussent déconcertés des différences de comportements entre les adultes présents à la Barque. Telle mère était connue pour ses colères alors qu’une autre se les interdisait, celui-ci n’a jamais su respecter les feux tricolores et celle-là passait sous les tourniquets du métro, alors que son amie veillait scrupuleusement à ce que chacun soit en situation régulière. Selon qu’ils se trouvaient avec tel ou tel adulte « de permanence », les mômes savaient que les habitudes des uns et des autres étaient différentes et qu’ils pouvaient faire avec celui-ci ce qui aurait été fort pénible à celui-là.

Nous nous faisions confiance. Jamais un gosse ne nous aurait dit : « Pourquoi peut-on jouer avec les allumettes avec Pierre et pas avec Paul ? », simplement parce qu’il savait que chacun, enfant et adulte, réagissait selon ce qu’il trouvait tolérable ou non pour lui et qu’aucune loi générale, aucun Droit n’en découlait.