Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/180

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Souvent nous discutions par exemple de l’interventionnisme, certains parents se déclarant incapables de supporter les bagarres entre enfants, d’autres au contraire observant toujours la plus stricte neutralité, la plupart volant au secours de qui appelait au secours ; chacun réagissait comme bon lui semblait, sans se soucier du « qu’en-dira-t-on ». Aucune indifférence cependant, nous nous intéressions à ce qui motivait nos réactions, nous en parlions entre nous longuement.

Et tu te souviens, Marie, qu’il n’y avait pas plus de violence à la Barque qu’ailleurs. Se plaçant en dehors du Droit, chacun avait intérêt à vivre agréablement. C’est ainsi que certains actes étaient refusés par tous (boucher les chiottes en jetant des objets dedans) sans que cet accord ne prenne valeur de règlement. Certes, j’étais la première à me fâcher quand un petit expérimentait la chasse d’eau en essayant méthodiquement d’évacuer de la farine, des papiers, des outils, etc. Mais personne jamais n’a puni qui que ce soit. Car il n’était pas « interdit » de faire ceci ou cela ; simplement, celui qui nous emmerdait devait bien s’attendre à ce que nous lui disions : « Ça me gêne », et quand je dis nous, je dis bien « nous qui étions directement concernés ». Nous aurions trouvé bien étrange que quelqu’un de passage s’en prît au garnement « boucheur » alors qu’il n’aurait pas eu à utiliser ces lieux qu’on dit d’aisance.

Il n’était pas exigé des adultes ni des enfants de la Barque qu’ils aient les mêmes façons de vivre. Mais la confiance qui se créait au fur et à mesure que chacun osait être lui-même et rien que lui face aux autres a rendu possible ces quelques années de vie ensemble contre l’école.

Ainsi la question d’Avanzini sur autorité et liberté me semble déplacée. Il est certain que nous avions volontairement opté pour un autre mode de relation entre nous et que cela nous engageait nous et nos enfants dans une grande aventure. Mais il est faux que nous ayons choisi autoritairement d’imposer je ne sais quelle liberté. Nous cherchions simplement chacun à être soi et aucun principe — fût-il d’autonomie — ne régla notre recherche commune. Un enfant désirant aller à l’école n’avait de permission à réclamer à personne.

Nous savions, quel que fût notre âge, que nous ne vivions pas dans un monde libertaire. Personne, y compris les moins de quatre ans, n’a jamais été chez nous assez idiot pour nier l’existence de la société. Chacun suivant ses capacités de bravoure, de fuite, de cynisme, de paresse, d’habileté, se débrouillait pour vivre sa vie sans se faire écraser par les voitures ou la police.