Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/25

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La gauche cisalpine n’est pas d’accord ? Oui, je connais la chanson : même si l’école est le lieu de reproduction de la division de la société en classes, elle demeure utile dans un processus d’unification politique des différentes couches sociales contre le système capitaliste pourvu simplement qu’on veuille bien la démocratiser. Mes petits camarades militants ne se sont guère privés de me dire qu’on faisait honneur à la classe ouvrière en envoyant son môme à la communale ! À l’enquête que Jules Chancel et moi avions menée en 1977 sur le refus de l’école, un membre du comité directeur du P.S., Jacques Guyard, répliquait : « Comme toute institution de masse, l’école est un champ de forces contradictoires, où la bourgeoisie tente de briser dans l’œuf toute réflexion critique, mais aussi où, par l’action des éducateurs et des parents, et par le jeu même du développement des mécanismes intellectuels, un esprit d’analyse autonome et de contestation naît sans cesse.

« Ce serait un singulier mépris pour les travailleurs de ce pays que de supposer qu’ils se battent depuis un siècle pour une institution dont le seul but serait de les enfoncer… » C’est spirituel… !


Je ne crois pas du tout qu’une volonté perverse de nos dirigeants ait fait de l’école ce lieu d’oppression réservé aux enfants. Si cela était, un complot aussi génial, une organisation aussi subtile de l’exploitation des intelligences et des énergies ne pourrait provoquer de ma part, devant un tel machiavélisme, qu’une admiration étonnée. Mais ce n’est pas le cas. L’institution scolaire est la résultante de plusieurs dynamiques. John Holt a écrit cette phrase que je trouve infiniment juste : « L’école est beaucoup plus mauvaise que la somme de ses parties[1]. » C’est pourquoi quand un ami enseignant me dit : « Ne suis-je pas gentil avec mes élèves ? », je lui réponds qu’il joue les imbéciles. Qu’il y ait des gens bien intentionnés dans l’Éducation nationale n’empêche pas le carnage. À l’école, une foule de gens apprend à se taire, à penser au son de cloche, à se croire bête. Et jamais ils ne s’en relèveront. Alors c’est vrai qu’ils ont été moulés de façon à mettre leurs gosses à l’école et qu’ils le font sans se poser de questions, mais les cicatrices sont là. D’où ce cri du cœur d’une institutrice, toute « Freinet » qu’elle soit : « N’empêche que j’ai souvent le sentiment d’une solitude, liée avant tout à l’idée même d’École, comme si chacun des adultes, d’une façon inconsciente bien sûr, rejetait cette École en soi parce que c’est l’École et que, fondamentalement, c’est

  1. S’évader de l’enfance, John Holt, Petite bibliothèque Payot, 1976.