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D’emblée il a été très clairement expliqué aux pédagogues quelle était leur fonction. Buisson, dans le Dictionnaire de pédagogie[1], balance ces inanités que les enseignants ont parfaitement intégrées : « Si […] l’éducation a avant tout une fonction collective, si elle a pour objet d’adapter l’enfant au milieu social où il est destiné à vivre, il est impossible que la société se désintéresse d’une telle opération […]. En dépit de toutes les dissidences, il y a dès à présent, à la base de notre civilisation, un certain nombre de principes qui, implicitement ou explicitement, sont communs à tous, que bien peu en tout cas osent nier ouvertement et en face : respect de la raison, de la science, des idées et des sentiments qui sont à la base de la morale démocratique. Le rôle de l’État est de dégager ces principes essentiels, de les faire enseigner dans ses écoles, de veiller à ce que nulle part on ne les laisse ignorer des enfants, à ce que partout il en soit parlé avec le respect qui leur est dû […]. »

L’État a raison. L’État a raison de nous. Il dispose du monopole du droit et de la force. Concrètement il décide si je suis majeure ou non, dans quelle mesure je peux ou non sortir de mon pays, ce qu’on m’aidera ou non à faire (des enfants, des études, des rencontres), si j’ai le droit de me suicider ou de prêter assistance à qui veut disposer librement de sa mort, etc. C’est encore Jules Ferry « libérateur des petits enfants » qui disait (avec quelle outrecuidance !) que l’État s’occupait de l’éducation « pour y maintenir une certaine morale d’État, certaines doctrines d’État qui importent à sa conservation[2] ».

Dans les pays occidentaux, la liberté de pensée est surveillée bien plus étroitement qu’on ne veut le croire. Un livre qui ne va pas dans son sens peut être publié mais autant que l’État a intérêt à un certain libéralisme. Prenons, au hasard, un pays républicain et démocrate, un pays par exemple où la presse peut se permettre de contrôler les agissements d’un chef de l’État, disons les États-Unis. Situons-le à un moment précis de son histoire, quand l’Honnêteté triomphe du vilain méchant président et que les Américains se félicitent de proclamer au monde leur attachement aux libertés. Eh bien, dans la foulée de l’affaire du Watergate, l’État n’entend pas se laisser menacer à travers ses gouvernements et réagit immédiatement. Un rapport[3], vraisemblablement réalisé par les services d’espionnage, est

  1. Éditions Kimé, 2000.
  2. Cité dans Les Chiens de garde, op. cit.
  3. Rapport n°8 de la Commission trilatérale sur la crise de la démocratie, 1975, cité dans Sauve qui peut les libertés, Comité contre la répression, Éditions Que faire ?, Genève, 1982.