Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Au fur et à mesure que l’enfant prend de l’âge, son champ de possibilités lui est rogné en même temps qu’on le fait passer au fil des ans du jardin d’enfants, où il jouit d’une relative « autonomie », en terminale où il se soumet totalement au programme d’abord, puis — apogée ! — à la divination de ce qui peut bien plaire à un examinateur inconnu.

Que le prof soit intelligent ou non, socialiste ou national-socialiste, féministe ou obtus ne peut rien changer à ce qu’on cherche à former dans l’esprit des « futurs adultes ». L’enfant doit être enfantin, le vieillard sénile, la femme féminine[1], le penseur intellectuel. Amères calembredaines, douce Amie. Laissons les adultes s’adultérer.

Tu connais la parade particulièrement excitante qui consiste à seriner : « La famille impose à l’enfant des structures mentales aussi conformistes que l’école ; na ! » En regardant autour de moi, je m’aperçois, quoi qu’on en dise, qu’on se sort apparemment plus facilement de l’emprise de la famille. Sans doute est-il moins ardu de rejeter père et mère que l’ensemble polymorphe de l’institution scolaire, justement parce qu’il s’y trouve des gens qui semblent de votre bord (professeurs ou élèves), ce qui permet à l’école toutes les feintes dans ce jeu d’escrime auquel certains se livrent pour l’amour de l’art.

Je suis toujours aussi effarée de constater la candeur avec laquelle on ose me rétorquer : « Mais qu’allez-vous chercher là ! L’école permet l’acquisition du savoir, c’est tout ! »

Il s’agit bien en effet d’acquérir, d’avoir. Et donc, dans la logique du marché, de produire, de se vendre. Les maîtres modernes insistent d’ailleurs de plus en plus souvent « au nom de l’autonomie de l’enfant » sur une pédagogie qui doit amener l’élève à « vendre sa production »[2] !

Il est d’ailleurs notable que l’escroquerie commence au berceau. Ne dit-on pas qu’on construit des crèches pour le « développement des petits », alors que chacun sait pertinemment qu’on ne construit des crèches que lorsqu’on a besoin de « libérer » des femmes pour le travail ? Il n’y a pas, il n’y aura jamais de raisons autres qu’économiques à l’élevage en série des enfants.

  1. Je mets en annexe de ce chapitre l’un des plus splendides exemples de bêtise qu’on puisse lire dans un manuel scolaire ; on aurait tout aussi bien pu trouver l’équivalence de pareille impudence dans un livre d’histoire. Mais c’eût été moins drôle.
  2. C’est ce qu’on appelle avoir les idées avancées. Un exemple : « Mais on n’est plus à la belle époque du troc, et il faut savoir se situer dans son temps. Si le “fric” est une donnée de notre société – j’attends qu’on me prouve le contraire – il ne faut pas avoir peur de s’y salir les mains, et l’esprit, même avec des enfants. » Écoute, maîtresse, op. cit.