Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’École les sujets de toutes les classes sociales : on pourrait alors, avec plus de justifications que jamais, imputer à l’inégalité des dons ou à l’aspiration inégale à la culture la représentation inégale des différentes couches sociales aux différents niveaux de l’enseignement[1]. »

Dix ans avant la réforme Haby, Bourdieu et Passeron avaient dressé d’avance le constat d’échec de toute tentative de « démocratisation », car l’école ne peut être indépendante de l’ensemble. La déperdition scolaire est la résultante de forces qui échappent à l’Éducation nationale. L’enfant de prolos adopté par des cadres, comme tous les autres « héritiers », bénéficie de la culture du milieu dans lequel il vit, s’exprime facilement, a des connaissances étendues dans le domaine musical, ses lectures sont variées, il a vu toutes sortes de films. Plus le milieu social est élevé, plus les savoirs sont étendus et diversifiés. Tu sais bien que je parle ici de quantité et non de qualité, et que je suis souvent atterrée par la superficialité des gens dits cultivés. Mais l’éclectisme est une méthode et la bonne quand on veut « briller » à l’école ; d’où l’apparent paradoxe de la réussite optimale de ceux qui justement contestent l’enseignement scolaire si étriqué. Ils cherchent (et trouvent) ailleurs les aliments nécessaires à leurs succès, méprisant le Canigou ou « Mac Donald » qu’on leur sert au lycée. Plus ils rejettent la pâtée et mieux ils sont en forme pour gagner les concours. Ça va de soi.


La pseudo-démocratisation n’est pas qu’inutile et je ne perdrais pas mon temps à t’en parler si je ne la jugeais profondément vicieuse. Avant les efforts pour une démocratisation — efforts tout à fait réels, n’en doute pas, car on est démocrate de père en fils dans les rouages de l’Éducation nationale, à droite comme à gauche —, quand on était « enfant du peuple », on savait être bon perdant, on tenait sur le ring autant qu’on pouvait, sachant que les chances entre le poids lourd et le poids mouche étaient inégales ; quand on avait résisté quelque temps, on était fier, on mettait le certificat d’études dans un beau cadre et on pouvait s’estimer très heureux de ne s’être pas fait étaler sur le tapis avant d’avoir commencé. Il arrivait bien que l’un fît des études, des vraies, mais c’était infiniment rare et, a priori, on n’y prétendait pas.

Avec le collège unique, « tout le monde peut en faire, des études » et il n’y a plus d’excuse à l’échec. Non seulement l’école est triste parce qu’elle oblige des gens à s’ennuyer mortellement (je dis bien mortellement) pendant toute leur jeunesse, mais elle produit de la pourriture au moins

  1. Les Héritiers, op. cit.