Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/79

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un mouchard en réalité. Tu pourrais toujours me le montrer si tu voulais (on se demande bien pourquoi). Me mettrait-on à l’amende ?

Je repense à la tête catastrophée de Blanche : « C’est incroyable ! On a un gros problème avec Loïc ; son professeur s’est rendu compte qu’il avait falsifié ma signature ! Tu te rends compte ? Jamais je ne l’ai grondé pour une mauvaise note ! Jamais ! Qu’est-ce qui a pu lui prendre ? Et depuis qu’il se sait découvert, il reste enfermé dans sa chambre. Ça fait trois jours ! Et rien à faire pour le faire sortir. »

J’aime bien Blanche, elle était dans tous ses états et je ne savais vraiment pas comment la consoler. Je n’allais quand même pas lui dire qu’elle s’en sortait plutôt bien et que l’immense majorité des suicides d’enfants était due très précisément à la peur d’avouer une mauvaise note ou à la honte de voir reconnue une fausse signature.

Des psychologues, toujours de service quand il s’agit de justifier les normes et d’expliquer l’inexplicable, t’affirment sans sourciller que si l’on ne punit pas l’enfant, il se punira cruellement lui-même, se blessera, cassera son jouet préféré (s’accusera de fautes qu’il n’a pas commises, pour faire bonne mesure) et que l’éducateur doit punir pour « soulager la conscience » du bambin. Bien sûr qu’il y a des enfants fêlés, mais pour se punir soi-même, il faut être déjà bien rongé par la peur, craindre pire, encore et toujours pire, tu ne crois pas ?


Tous les psychanalystes ne sont pas des crétins. Beaucoup sont assez malins pour être escrocs. Et même, un tout petit nombre, qui ne sont ni crétins ni escrocs, sont de remarquables et belles figures de penseurs, de créateurs. Je n’ai pas été surprise — ça me semblait la moindre des choses — que deux d’entre eux, assez loin des divans, disons-le, corroborent avec « leurs » enfants (autistiques pour l’un, « caractériels » pour l’autre) ce que quelques parents ont choisi de vivre dans une relation d’où toute idée de sanction est absente. Bruno Bettelheim : « [Ici] il n’y a aucune règle disciplinaire. Le personnel doit respecter tout ce que fait l’enfant (on remplace parfois jusqu’à trente vitres par jour)[1]. » A. S. Neill : « Les enfants de Summerhill ne deviennent pas des criminels ou des gangsters une fois qu’ils ont quitté l’école parce qu’ils ont le droit [chez nous] de vivre à fond leur gangstérisme sans crainte de punitions ni de remontrances[2]. »

  1. La Forteresse vide, Bruno Bettelheim, N.R.F., 1974.
  2. Libres enfants de Summerhill, A. S. Neill, François Maspero, 1970.