Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/85

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quand il s’agit de ta santé que de tes voyages : personne mieux que toi ne sait ce qui te convient.

Il est comique de voir avec quel acharnement on affirme, au mépris du bon sens le plus élémentaire, que l’enfant ne sait pas ce qu’il veut ni ce qu’il fait. L’enfant serait le jouet d’une illusion permanente. John Holt dit que seuls les adultes sont assez stupides pour croire que d’une façon ou d’une autre l’institutrice que l’enfant juge méchante peut lui faire du bien[1]. Le môme perçoit très finement, très vite, où est son intérêt, qui l’aime, qui ne l’aime pas. En un mot comme en cent, l’enfant ne peut être plus idiot que l’adulte. Dans toutes les assemblées générales où enfants et adultes disposent de l’égalité des voix, quel que soit l’âge, et alors que les enfants sont souvent là en majorité, comme à Summerhill ou dans certains lieux de vie où l’on procède de cette manière, je n’ai jamais entendu dire qu’une décision aberrante eût été prise par les enfants. Que de fois ne t’ai-je pas demandé conseil pour des questions importantes alors que tu ne m’arrivais pas à mi-cuisses ! Notre entente s’est nourrie sans doute aussi de ce que je ne t’aie jamais donné l’exemple de la soumission et que tu ne m’aies jamais forcée à quoi que ce soit. Quand nous étions opposées, il fallait trouver un compromis, parfois aussi je pleurais ou toi, je cédais ou toi, mais ces matchs-là étaient rares et chacune avait sa chance. Aujourd’hui, il y a peu de circonstances où nous dépendons l’une ou l’autre de l’avis de notre compagne (à part quand l’une de nous veut être seule dans l’appartement, mais jusqu’ici, nous nous sommes toujours très bien arrangées, n’est-ce pas ?).

Non vraiment, je n’arrive pas à imaginer quels « défauts » propres à l’enfance frapperaient les décisions enfantines de nullité. Chaque individu a le droit le plus absolu de faire de lui ce qui lui convient. Il n’y a pas plus d’enfants violents, déraisonnables, peureux que d’adultes violents, déraisonnables, peureux. Il y a des gosses qui conduisent des voitures mieux que leurs parents, qui ont plus de sang-froid dans un incendie qu’incontestablement je n’en aurais, etc.

Face à ces évidences, il a bien fallu placer les enfants en situation réelle d’infériorité. Le petit de l’animal dépend de ses parents tant qu’ils le nourrissent. C’est en fait ce qui se passe chez l’homme, mais au prix d’un glissement de sens assez incroyable entre la nourriture et la nourriture. On retrouve la très exacte dépendance de l’esclave face au maître, du travailleur face au patron, avec le même échange obligatoire : nous te

  1. Cf. S’évader de l’enfance, op. cit.