Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/84

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Les gens sont prêts à s’exclamer que, bien entendu, tous les humains sont égaux quels que soient leur sexe, leur âge, leur couleur. Ils sont différents, n’est-ce pas ? Voilà tout. Justement, ils n’ont pas la même forme d’intelligence, de sensibilité, etc. N’écoute pas les hypocrites et interroge-les, ces parleurs, pousse-les dans leurs retranchements, demande-leur ce qu’ils entendent par différence et tu verras resurgir des plus ceci, des moins cela, le Noir moins rationnel, la femme plus intuitive, l’enfant plus crédule. Différence pour presque tous signifie degrés. Marie, si tu savais le mal qu’on peut se donner pour apprendre à parler. Cette nécessité s’impose constamment, je le répète, d’interroger les gens : « Qu’entendez-vous par là ? »

Il est caractéristique que l’adulte se présente à l’enfant comme une « grande personne » et non comme un grand individu, c’est en effet d’un masque (la « persona », le masque de théâtre) qu’il est question et l’enfant sait très vite que la grande personne lui attribue un statut correspondant à leurs deux rôles respectifs. Théâtre. La mise en scène est dure. D’un côté, ceux qui ont tous les pouvoirs et l’autorité, de l’autre, ceux qui obéissent et à qui il reste de jouer les fous, pleurer, crier, faire du bruit. Comme les esclaves de tous temps, les prolos, les animaux, « ils sont heureux », ou plutôt « ils ne connaissent pas leur bonheur », ils n’ont pas de soucis ; les responsabilités, c’est pour les maîtres qui en sont bien à plaindre.

Récemment, tu étais très malade ; on s’est étonné autour de moi que je te demande à plusieurs reprises si tu pensais qu’il fallût appeler le médecin. Tu répondais que non, grelottant dans tes 40° de fièvre. Je t’écoutais. Toujours, en ce qui concerne ta santé, je t’ai trouvée de bon jugement. Ce n’est pas donné à tous les adultes.

Jamais nous n’oublierons « la robe jaune ». Tu avais quatre ans. Pour la première fois depuis longtemps, je disposais d’une centaine de francs et je t’avais emmenée aux Puces pour t’acheter une robe. Je comptais te l’offrir et cela me faisait plaisir car toujours nous ne portons que des vêtements qu’on nous donne. À ma grande déception, tu choisis une robe jaune d’or que je trouvai hideuse. J’avoue — je l’aurais fait avec une amie — que je tâchai bien un peu de t’en dissuader, t’en proposant des dizaines d’autres. Mais c’est bien sur la robe jaune que tu avais jeté ton dévolu. J’étais un peu chagrine. Quand tu la mis, à la maison, on s’exclama. Cette robe était faite pour toi, absolument. Tu l’as habitée prodigieusement et l’as aimée comme il arrive qu’on aime ainsi cinq ou six vêtements dans sa vie. Depuis, le « souviens-toi de la robe jaune » me sert aussi bien