Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/110

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les tractations pour les dommages et intérêts que réclament les victimes. Étrangement l’argent permet ici de dépasser l’inavouable cruauté dont se sent capable celui qu’anime un esprit de vengeance. Plus étrange encore : la victime se satisfait à un moment donné d’une certaine somme alors même que celle-ci peut être versée par un organisme quelconque comme une caisse d’assurance et non par le criminel qu’elle a tendance alors à tenir quitte de son acte. Je veux bien qu’on dise que l’argent joue ici un rôle symbolique. Mais la place qu’il prend comme règlement des comptes ne mériterait-elle pas quelques colloques de réflexion ?

C’est en 1983 qu’a vu le jour en France l’une des utopies que prônait Thomas More en 1516 : les condamnés à un travail d’intérêt général accomplissent un travail gratuit d’une durée de une à six semaines de quarante heures au profit d’une collectivité publique ou d’une association. L’idée séduit beaucoup. Plus ou moins consciemment, les honnêtes gens apprécient le travail infligé comme peine non parce qu’il est fatigant ou ennuyeux et, dans la Bible, la grande malédiction de Dieu, mais parce que non rémunéré. Il est assez difficile cependant d’ignorer qu’il s’agit là d’une très classique punition. Pas le bagne, pas les mines de sel, mais un travail forcé et donc en soi quelque chose qui se veut pénible et, de toute façon, une humiliation. On a souvent lu l’exemple de cet homme qui roulant trop vite avait causé la mort d’un enfant. Il fut condamné à travailler dans le service d’un hôpital où tous les jours il pouvait voir de ses yeux des enfants brisés, brûlés, hurlant. Voilà l’exemple même du travail rédempteur qu’on propose. Je me demande s’il n’eût pas mieux valu pour lui être condamné à mort.

Les juges n’ont pas tous les jours d’aussi bonnes idées cruelles et les travaux d’intérêt général sont juste des corvées infligées comme pénitences. Évidemment, lorsqu’on propose à quelqu’un de servir gratuitement ou d’aller en taule, c’est mieux que de l’incarcérer sans discussion, mais parler de choix est un abus de langage, ni le juge ni lui ne sait vraiment à quel châtiment le coupable s’expose. J’ai rencontré au zoo de Lille une gardienne