Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/121

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Une histoire sordide mais banale montre bien comment des allégations en entraînent d’autres de plus en plus graves. C’est juste un jeu de langage. Elle est racontée par Philippe Bernardet et Catherine Derivery[1] ; je suis obligée de l’abréger, c’est dommage car c’est l’accumulation de détails inventés qui a failli faire condamner Pascal Forki à perpétuité.

Le 8 avril 2000, le corps d’une enfant de deux ans est repêché dans une rivière. À première vue, il s’agit d’un accident. Mais la pédiatre de service à l’hôpital où le corps a été transporté signale au parquet une « béance anale » qui lui paraît anormale. Dans le procès-verbal établi au commissariat, cette information se transforme en « béance énorme, un sphincter déchiré, totalement dilaté ». La police considère à présent qu’il s’agit d’un viol et d’un homicide. Pascal Forki, amoureux transi de la mère de l’enfant, devient le suspect numéro un. Et à partir de ce moment-là, toutes les expertises psychologiques et psychiatriques vont aller dans le sens de la confirmation de cette hypothèse. Cet homme « incapable d’investir une sexualité adulte » devient un peu plus tard un « déviant sexuel, apeuré par les femmes, n’ayant jamais été adapté ». Impressionnée, la mère se souvient brusquement d’avoir remarqué du sang et du sperme sur la couche de son bébé… puis elle se dédit. Pendant ce temps, le commissaire interroge le suspect sous les coups habituels pour le faire avouer. Puis le suspect est incarcéré. On doit à Dominique Lecomte, directrice de l’institut médico-légal de Paris, commise pour une expertise complémentaire, d’avoir prouvé que l’enfant s’était noyée toute seule. La sodomie ? Aucun signe ni avant ni après le décès de l’enfant, la dilatation de l’anus étant un phénomène courant sur un cadavre.

Voilà un homme sauvé in extremis des soins qu’on aurait aimé lui prodiguer. Il échappe à l’émasculation chimique. C’était ça ou rien selon les aléas de l’établissement où il se serait retrouvé. De toute façon, s’il avait violé et tué cette enfant de deux ans (et souvenons-nous de notre candide indignation lorsque les médias

  1. Enfermez-les tous ! Philippe Bernardet et Catherine Derivery, Robert Laffont, 2002.