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de toutes les espèces, l’espèce humaine est la seule à s’entretuer de façon de plus en plus aléatoire au fur et à mesure qu’elle évolue. Mais il nous reste quelque chose des grands singes et c’est ce qui nous protège en temps de paix de trop d’homicides.

Il y en a quelques-uns pourtant. Mais ce qu’on appelle les assassinats, c’est-à-dire les meurtres prémédités et réfléchis, échappe pour beaucoup aux cours d’assises. Un commissaire de police du service des disparitions que j’interviewais un jour pour France Culture disait à quel point il était bien placé pour savoir que de nombreux crimes de sang, souvent commis par des proches de la victime, restaient impunis. Entouré d’une équipe de limiers à l’esprit clair et étonnamment perspicaces, il me raconta comment bien souvent ils découvraient qu’un époux par exemple avait fait disparaître sa femme mais qu’ils n’avaient aucune preuve à fournir. Le crime parfait existe. Et plus les héritages ou les biens en partage sont substantiels et plus le crime est bien ficelé.

Nous avons fait allusion à ces professions estimées et enviées qui se sont fait une spécialité du recel. Ne parlons pas du quidam outré de s’être fait cambrioler qui n’hésite pas un instant à « rouler » aussitôt sa compagnie d’assurances ; mais voleur, lui ? Comme n’importe quel petit larron il estime que « voler les riches », c’est se rendre justice.

La criminalité réelle est tellement plus importante que la criminalité réprimée qu’on peut se demander à quels naïfs s’adressent les représentations que sont les procès et les prisons. En sociologue qui ne s’en laisse pas conter et ne fait qu’examiner ce qui se passe, Émile Durkheim a écrit froidement « Nous ne réprouvons pas un acte criminel parce qu’il est crime. Mais il est crime parce que nous le réprouvons ». C’est très exactement ce que nous dit aussi le dictionnaire : « Crime : en Droit, infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante. » (Petit Robert). Comme le délit et le crime ne sont pas des fautes mais des transgressions, la punition est la preuve qui l’atteste, preuve qu’il faut présenter à chaque fois au public, sinon elle ne serait pas évidente. La Société cherche à socialiser le crime par le procès puis le criminel