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Des naïfs semblent attendre de la prison que le détenu réfléchisse et regrette ce qu’il a fait. Sauf dans des cas tout à fait exceptionnels, quand il y a mort d’enfant par exemple, le remords est rarissime et l’on peut supposer qu’il serait identique si l’auteur d’un tel acte n’avait pas été arrêté.

Le repentir est lié à une faute. Mais ce qui est faute à ses propres yeux n’a que très exceptionnellement à voir avec la Loi. Un ami meurtrier à qui je demandais s’il avait jamais connu le remords (et je pensais à l’assassinat de sa femme) me répondit avec émotion : « Oh oui ! Je pense sans arrêt à un jour où, tout gamin, je faisais enrager ma mère ; elle me courait après dans le jardin, je lui ai fait un croche-pied, elle s’est étalée par terre. Toute ma vie je regretterai ça. »

La douleur d’avoir commis un forfait est plus rare qu’on ne croit ; la honte d’avoir lâché un pet en public est apparemment plus cuisante que celle d’avoir nui à son prochain. Le regret qu’éprouve un détenu c’est le plus souvent celui de s’être fait prendre ou d’avoir manqué une affaire en or. Quant à celui qu’on exige de lui au moment du procès, il ne s’agit que de déculpabiliser juges et jurés en validant l’acte d’accusation.

De toutes les fonctions de la peine de prison, la seule qui remporte encore les faveurs d’une bonne partie de la population reste celle de l’élimination. Comme m’écrit un ami américain : « Les délinquants ont sans doute de bonnes raisons, bien à eux, d’agir comme ils le font. Mais de mon côté je dois me protéger en les tenant à l’écart. Cela dit, on devrait traiter les détenus comme des prisonniers de guerre et ne leur faire aucun mal. » Pour son édification, je lui ai conseillé de lire Les Poulpes de Raymond Guérin[1]. Depuis, il a appris aussi bien que moi comment ont été traités les prisonniers afghans : les photos des émasculations ont circulé dans les journaux de son pays et dans quelques-uns d’ici, elles traduisent fort bien le respect de tout vainqueur pour le vaincu.

  1. Gallimard, 1953.