Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les clochards, un bon nombre ont connu la taule ; trop vieux pour voler, ils se retrouvent en foyer pendant trois quatre mois avant de laisser la place aux jeunes. N’ayant trouvé ni travail ni logement, ils ont manifesté assez leur mauvaise volonté, ils parviennent à se payer quatre ou cinq nuits dans un hôtel infect, puis c’est la dégringolade prévue. Mais en amont — quel hasard surprenant ! — 20 à 30% de ceux qui entrent en prison sont des indigents, 21% des illettrés.[1]

La rage des jeunes est exaspérée par la précarité de l’existence étroite qu’on leur propose ; du côté des gens « bien élevés », cette colère a une sinistre tendance à se tourner contre eux-mêmes — les services de réanimation en témoignent — quant aux autres, et il y a de quoi, le mot « citoyenneté » les fait exploser, signe d’un entendement sain. La lutte contre la délinquance commence nécessairement par une politique de lutte pied à pied contre la pauvreté. Comment payer ? Quel joli pécule rapporterait la suppression de l’administration pénitentiaire ! De toute façon, les surveillants donneraient n’importe quoi pour faire autre chose…

Nous avons insisté dans un chapitre précédent sur ce constat qu’on peut établir dans n’importe quel pays du globe : plus une société est répressive, plus elle entraîne de brutalité entre ses membres (question de solidarité mécanique) ; il s’agit au départ comme à l’arrivée d’agression contre les personnes. Ce qu’on appelle la violence gratuite, c’est quand les gueux ne s’attaquent plus à ceux qui ont de l’argent — ce qui, à défaut d’être toujours raisonnable, est du moins rationnel — mais à des miséreux comme eux. Ils vivent dans un monde d’où sont chassés les plus faibles, ceux contre qui s’acharnent les institutions, en particulier celle de la police mais aussi avec la même suspicion, les mêmes méthodes de chantage et de menace — celles en charge des services sociaux ; le contraste n’en est que plus parlant quand « derrière le guichet », une employée du RMI ou autre exprime sa sympathie : « Je suis d’accord avec vous, Monsieur, ce qui vous arrive est injuste. Pourtant je

  1. Cf. Actualités Sociales Hebdomadaires, 3 mai 2002.