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détenus qui violent dans la douche celui qu’on a incarcéré pour viol « pour qu’il comprenne ce que c’est ». Doit-on par ailleurs conclure de la pensée de Hegel qu’on mentira au menteur et que l’on se vantera devant le vaniteux ? Peut-on supposer qu’on n’exécutera qu’à moitié le meurtrier qui a pris pitié de l’une de ses deux victimes et lui a fait grâce ?

Plus tard, Hegel, dans sa mystique d’un État qui serait l’incarnation de l’intelligence absolue, reviendra sur le châtiment. Le délinquant nie la Loi de l’État, il la reconnaît donc comme en creux ; pour redonner à la Loi son vrai relief, il faut sacrifier publiquement le criminel : nier la négation équivaut à une affirmation. C’est dialectique en diable.

Reste que la loi et la morale se confondent avec une moralité qui se veut strictement conformiste. On lui obéit parce qu’elle s’impose à nous par une supposée conscience qui n’est rien d’autre que la chambre d’écho de la voix du plus grand nombre. En 1885 Jean-Marie Guyau écrivait : « Maintenant, les esprits les plus élevés parmi nous adorent le devoir ; ce dernier culte, cette dernière superstition ne s’en ira-t-elle pas comme les autres ? »[1] Nous ne partageons malheureusement pas cet optimisme. Car ceux qui font des lois abstraites un impératif moral tout aussi abstrait ont érigé des bûchers en vrai bon bois de genêt, des cordes de chanvre solide et des prisons en béton armé ; on ne leur conteste pas d’avoir de la suite dans les idées.


Les sociétaires réalistes peuvent apparaître comme moins dogmatiques, plus prudents dans leur interprétation des lois et des sanctions.

Pour eux la punition n’a aucun sens si elle ne sert à rien ni à personne. Elle doit être utile et ne peut qu’être condamnée si elle est stérile. Les tenants de ces philosophies réalistes très diverses n’essaient pas en général de faire accroire que la punition sert à la

  1. Jean-Marie Guyau, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, Corpus des œuvres de philosophie en langue française, Fayard, 1985.