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personne — a été adulé de la bourgeoisie du XIXe siècle la plus infatuée d’elle-même. Mais John Stuart Mill (1806-1876) a su donner à l’idée d’intérêt personnel une sorte de noblesse. En s’opposant radicalement à Kant et à son attachement morbide au devoir, en considérant l’amour, l’amitié et la beauté comme essentiels pour tout être, il a réussi ce tour de force d’arracher l’utilitarisme à la bourgeoisie qui ne pouvait admettre sa largeur d’esprit ni sa foncière générosité. Mill ramait à contre-courant car sa défense de l’individu contre la mainmise de la Société, quoique encore bien engluée dans des considérations sociales[1], allait à l’encontre de tout ce qui se mettait en place au même moment, notamment en criminologie.

C’est qu’approche en ce domaine le triomphe de Cesare Lombroso (1835-1909) par exemple pour qui la culpabilité ni la responsabilité n’offrent aucun intérêt : pour protéger la Société, il faut éliminer les gens susceptibles d’être dangereux. On peut lire très exactement sur sa figure si un homme est ou non un malfaisant en puissance. Il y a des criminels nés. On sait combien cette lecture des visages ou la graphologie est une tentation permanente pour l’homme moderne, grand amateur de chasse aux animaux nuisibles, qui place de grands espoirs dans les progrès de la génétique.

L’Italien Cesare Lombroso a surtout fait des émules dans les pays anglo-saxons. Les juristes français sont prudemment restés attachés aux faits, rien qu’aux faits, et au châtiment comme réponse à un acte. C’est l’époque où l’on réaffirme deux principes fondamentaux de la peine : la proportionnalité entre la sanction et le délit et l’utilité sociale de la peine comme prévention de la délinquance. Les criminologues vont être aidés par des hommes de terrain qui vont s’interroger et écrire sur leur pratique comme

  1. Exact contemporain de Max Stirner (1806-1856), il n’a pas son acuité. Si l’on voit chez lui une volonté de s’associer entre individus libres, c’est quand même pour reconduire une société, ce dont se garde bien Stirner. Mill n’hésite d’ailleurs pas, contre les libéraux de son temps, à justifier l’intervention de l’État pour répartir les biens entre riches et pauvres.