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le magistrat Gabriel Tarde, le médecin légiste Antoine Lacassagne et surtout le sociologue Émile Durkheim (1858-1917).

À l’opposé de Lombroso et de son « criminel-né », Tarde, Lacassagne et Durkheim voient que tel ou tel milieu, telle ou telle éducation favorisent tel ou tel type de délinquance.

Émile Durkheim relativise la notion de crime, par définition il n’est qu’un acte puni : on s’est toujours fort bien accommodé d’actes délictueux que la police ne découvre pas. Le châtiment n’est alors rien d’autre qu’un symbole, il est juste une image en laquelle tous les membres d’une société se reconnaissent unis les uns aux autres par un même respect de valeurs supposées partagées par le plus grand nombre, par une même idéologie dominante.

Durkheim se serait alors sans doute satisfait d’un procès comme représentation où l’on « redonnerait » les valeurs d’une société. Mais il admet comme une donnée sociologique que la répression satisfait la conscience collective, même si elle est à ses yeux non seulement inutile, mais nuisible.

C’est à ce prix que les membres d’une société (en ce domaine toujours archaïque) gardent foi dans la communion des esprits, dans une adhésion de tous aux mêmes principes. Pour Durkheim, il ne s’agit que de croyances, mais une Société ne repose que sur ces croyances. On sait à quelles tragédies elles mènent et mèneront toujours. C’est Max Stirner, dans L’Unique et sa Propriété[1] qui avait le mieux dit en 1845 combien nous étions esclaves de nos croyances et superstitions chaque fois que nous nous forgions un « idéal ». La Société broie tout individu qui croit non en sa réalité — car elle est bel et bien réelle et nul ne peut y échapper — mais en son bien-fondé. Car s’il ne peut s’extraire de la Société, celui qui parvient à son unicité a du moins le pouvoir s’il en a la volonté, de refuser d’appartenir librement à ce conglomérat féroce.

  1. L’Âge d’Homme, 1988.