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Mais j’aime savoir qu’existent des porteurs de commencement, de civilisation en civilisation.

Cela dit, depuis la nuit des temps en effet on a cherché à punir. Il faut un coupable, il n’est pas nécessaire qu’il soit l’auteur d’un forfait, une chèvre fera aussi bien l’affaire. Car il y a chez les hommes une colère de toujours contre la souffrance, contre l’adversité. En 480 avant notre ère, Xerxès fait donner trois cents coups de fouet à la mer et jeter une paire d’entraves dans le détroit des Dardanelles après la tempête qui brise les premiers bateaux dont il avait projeté de faire un pont pour passer d’Asie en Europe. Aux yeux des Grecs, du moins à ceux d’Hérodote, ce n’est pas aberrant, c’est juste « exagéré »[1], mais en d’autres occasions, pour des vents contraires il était courant de faire exécuter les devins, ou n’importe qui d’autre d’ailleurs.

On ne veut jamais le coupable, mais un coupable. Qu’ils se réfugient derrière une philosophie légaliste (« On n’a pas le droit de ne pas punir ! »), sociétaire réaliste (« Toute société vise à se défendre contre les ennemis extérieurs et intérieurs ») ou humanitariste (« Il faut punir pour faire comprendre, mais sans excès »), les partisans du châtiment font tous comme si, par une sorte d’heureuse fatalité, les coupables étaient punis et les justes récompensés. Il ne faut pas attendre autre chose de cette époque qui, peu à peu, remet au goût du jour cette vieille idée que l’indigence est une sanction qui frappe les paresseux et les faibles d’esprit.

Au milieu du XIXe siècle, Henri Monnier avec une pertinence toujours de mise conseillait : « Si on vous accuse d’avoir volé les tours de Notre-Dame, commencez par prendre la fuite. » Les erreurs judiciaires sont constantes, particulièrement en « comparution immédiate » où l’on juge en toute hâte. Mais il faut que les dégâts soient spectaculaires (têtes tombées à tort, une vie pour rien derrière les barreaux, etc.) pour qu’elles émeuvent qui que ce soit.

  1. Le roi des Perses se rend coupable d’ubris, c’est-à-dire de démesure, péché impardonnable chez les Grecs.