Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/52

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À part les oubliettes qui se rapprochent davantage de la fonction actuelle de nos prisons, les geôles et ergastules des temps anciens n’étaient conçus que dans le but de mettre quelques jours en sûreté ceux qu’on allait juger, supplicier ou exécuter, à moins que le condamné n’attende un convoi vers les mines, les galères ou le bagne. C’est la Révolution française qui a introduit l’incarcération comme une peine en soi. Cependant les bases de l’emprisonnement cellulaire avaient été définies au IXe siècle aux conciles d’Aix-la-Chapelle et de Verneuil-sur-Oise par des abbés qui tentaient d’humaniser ce qu’avaient de trop rude les lois ecclésiastiques ; elles se voulaient pourtant plus douces que celles des seigneurs puisque les religieux refusaient la mise à mort du coupable et y avaient substitué les cachots. Le concile déclare : « Les moines qui seront enfermés pour crimes auront une chambre à feu et quelque endroit proche où ils pourront travailler à ce qu’on leur donnera. »

C’était il y a 1 200 ans et les prisons sont de plus en plus glaçantes. Officiellement la prison d’aujourd’hui doit remplir trois rôles : surveiller, punir, réinsérer. Elle ne parvient qu’à punir (c’est-à-dire à être une peine, être pénible) et elle le fait, nous l’avons dit, admirablement. Surveiller ne s’entend qu’au sens d’éviter les évasions. En France, en ce domaine, l’État n’a pas à se plaindre : on s’évade beaucoup plus rarement des prisons françaises que de celles de tout autre pays européen. La surveillance, le harcèlement qui vise à blesser, se veut une arme effrayante de la punition ; il est demandé à chacun de rendre compte de ses gestes tout au long de la journée, mais il va de soi que personne ne veille sur les détenus : celui qui se rend malade d’anxiété et tombe dans une dépression grave se suicide sans qu’un gardien ait tenté quoi que ce soit. Le ministère de la Justice qui dispose d’un excellent service de recherches et de statistiques sait très bien que « le taux de suicide augmente avec la durée de la peine » : le même ministère publie régulièrement des études très intéressantes sur la catastrophe qu’est l’allongement constant du temps de détention.