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Quant à réinsérer, c’est une plaisanterie qui ne fait plus sourire personne ; le propre de la prison étant la désinsertion absolue, toute « insertion » ne peut nécessairement se faire qu’en dehors de la prison et malgré elle.

Donc la prison punit. Elle est la « peine privative de liberté » par excellence. En ôtant radicalement à quelqu’un les conditions a priori de toute existence, le temps et l’espace, on annihile le condamné. Bien sûr, il n’a plus la liberté d’aller et venir, il n’a plus de lieu à lui, mais surtout son temps est entièrement régi par d’autres. Une condamnation à vingt ans, c’est 175 000 heures de mort à vivre. Un no man’s time.

Certains s’en tirent ? Oui, comme d’un cancer du foie. On est tenté alors de croire au miracle.

La plupart d’entre nous ne supporteraient pas d’être enfermés plus de quelques heures, même chez eux. En soi l’incarcération est cause d’effroi. Michelle Perrot nous apprend que lorsque fut instaurée en 1854 la transportation coloniale pour les longues peines, de nombreux détenus préféraient aggraver leur crime pour échapper à la prison en devenant des forçats.[1]

Car la prison vous mine, elle vous détruit sciemment de l’intérieur. Sciemment ? Sciemment : « Cette punition doit tirer son efficacité de l’ennui ou plutôt du harassement moral causé par la monotonie des marches continuelles, interrompues seulement par de courts intervalles. » (Règlement des prisons de 1839 à 1945).

Imagine-t-on un instant l’horreur qu’on éprouverait pour un criminel qui aurait séquestré et constamment humilié sa victime pendant vingt ou trente ans ?


Les conditions matérielles de la détention ne cessent d’être dénoncées. On montre en photo d’inadmissibles trous « d’aisance » dans les cellules des maisons d’arrêt ordinaires. Les rats et les blattes prolifèrent dans une odeur dégoûtante. On gèle toujours

  1. Cf. Les ombres de l’histoire, op. cit.