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Simone Buffard, psychothérapeute pendant quinze ans en prison, avait été l’une des premières professionnelles en milieu carcéral à assurer que l’institution pénitentiaire était fondée sur le sadisme et ne pouvait amener que la régression, le conformisme et la très profonde dégradation des prisonniers[1]. Anne-Marie Marchetti[2], sociologue, dans son enquête approfondie sur les longues peines, redit presque trente ans plus tard que, lieu d’asservissement, la prison ne peut que pervertir ou démolir les hommes.

Car obéissants, presque tous les taulards le sont jusqu’à la lie. C’est sur leur « profil » qu’on jugera s’ils peuvent ou non sortir en libération conditionnelle. Et ils ont intérêt à garder profil bas. Si un gardien le demande, le détenu devra dormir les mains au-dessus du drap ou balayer sa cellule sans avoir le droit de ramasser les poussières ou subir les plaisanteries des matons qui auront lu la lettre de sa belle amie (car le courrier n’est évidemment pas libre, tout passe chaque jour par le service de la censure). N’importe quoi, on peut exiger du condamné n’importe quoi. Et plus il acceptera n’importe quoi et plus il fera preuve d’ « aptitude à la réinsertion ».

Pourtant les directeurs de prison et les juges d’application des peines les plus intelligents reconnaissent assez volontiers que ce sont les détenus les plus passifs qui s’en tireront le moins bien. Les « fortes têtes » finalement ont des chances bien réelles de sortir plus tôt. Disons qu’elles se bagarrent aussi pour trouver des promesses d’embauche et des certificats d’hébergement, conditions sine qua non d’une sortie. Seule une personnalité hors du commun parvient à garder des alliés au dehors et ce sont ces aides extérieures qui vont lui permettre de monter un dossier à peu près fiable pour la commission qui jugera de son éventuelle libération.

Si « surveiller, punir, réinsérer » est le mot d’ordre officiel, il en est un autre qu’on n’écrit nulle part, mais qui justifie tout l’enfermement carcéral aux yeux de ses gardiens, mais aussi de l’immense majorité de la population : il faut casser le bonhomme.

  1. Cf. Simone Buffard, Le froid pénitentiaire, Seuil, 1973.
  2. Cf. Perpétuités, op. cit.