Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/65

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Le fou c’est celui qui en prison se prend pour un train, cet autre qui ne sait plus manger seul et ne boit qu’au biberon, cette femme qui voit des yeux partout, celui-ci qui ne peut toucher un briquet sans s’allumer les cheveux, et cette autre qui hurle nuit et jour et se débat contre des démons incubes. Le principal problème des aumôniers est le danger du délire mystique, en particulier dans les cas de crimes graves ; quand on est rejeté et même haï de tous, se dire qu’on est aimé infiniment de Dieu quoi qu’on ait fait est une tentation. Tant qu’on en reste à ce fondement théologique de la miséricorde, tout va bien. Mais voilà qu’on se met à vouloir « expier », qu’on se livre à des mortifications tombées en désuétude depuis le moyen âge. Puis on fait des miracles, on bat la campagne et plus moyen d’arrêter le ballon qui monte au ciel d’où il ne redescendra plus jamais sur terre. À juste titre les aumôniers catholiques et protestants se méfient des conversions spectaculaires ; ils ont les siècles d’expérience que de jeunes aumôniers musulmans n’ont pas encore. La prison est le lieu idéal de radicalisation de la haine. Quand un homme est gavé de son indignité, il ne demande pas mieux que d’accomplir son salut au nom d’une autre justice, de se sauver en s’intégrant à des communautés minoritaires dans sa religion mais avides d’exploiter sa colère. L’aumônier n’y sera pour rien. Mais à la sortie, qu’aura généré la prison sinon un certain goût de la mort ? Et six mois auront ici suffi.

Ce n’est rien à côté des longues peines. Pour la plupart des meurtriers, disent les criminologues, le décès de la victime, le crime lui-même apparaissent très abstraits ; le procès en assises est bien plus irréel encore. Tout y est théâtral : le décor, les costumes, les rôles assignés, le public, mais surtout le ton. Puis le condamné se retrouve en prison dans une atmosphère qui dépasse tout ce que son imagination aurait pu créer de plus morbide. Dès son arrivée, la fouille à corps va le faire basculer dans un cauchemar. Et puis ces bruits de chaînes et de serrures et de portes de fer qu’on ouvre et ferme dans un fracas de chaque instant. Et les