Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je me souviendrai toujours de ces parloirs où les femmes étaient en enfilade dans une sorte de couloir, toutes à genoux debout sur un étroit tabouret pour avoir le visage le plus près possible de l’être aimé, les mains plaquées sur le plexiglas devenu opaque à force d’avoir été griffé. Chacune des places, à un mètre les unes des autres, était « sonorisée », on n’entendait rien dans le brouhaha et toutes criaient pour « faire répéter » : il y avait un décalage désespérant entre les lèvres qu’elles essayaient de lire et le son comme rouillé qui leur parvenait.

C’est du passé, mais du passé récent. Aujourd’hui les plexiglas et autres vitres de séparation ont été supprimés et ne demeurent parfois qu’une des possibles « mesures de rétorsion » de la direction (à moins encore qu’ils ne soient exigés de quelqu’un — détenu ou visiteur — craignant la réaction violente de l’autre à l’annonce d’une mauvaise nouvelle). Dans certaines maisons d’arrêt, un petit mur subsiste entre le détenu et la famille, mais ailleurs on se voit à présent dans un grand hall. Selon les endroits, les familles et le détenu ont le droit ou non de tenir leurs mains enlacées. Des enfants jouent dans les jambes des surveillants ou pleurent, surtout au moment du départ. Que racontent-ils à l’école de leur week-end ?

Il arrive, en particulier dans les centrales, que des couples assis sur une chaise fassent l’amour devant tout le monde. J’ai eu bien des fois le cœur serré devant les fameux « bébés-parloirs » que la mère triomphante présentait aux autres femmes dans la salle d’attente puis aux détenus qui avaient droit ce jour-là à une visite d’un des leurs… Ils en voulaient tous un.

Mais beaucoup de ces jeunes femmes, au bout de quelques années d’un veuvage étrange « refont leur vie ». Restent les mères des prisonniers. Tous les dimanches ou un sur deux, elles traversent parfois la France ou souvent une bonne moitié pour revoir leur fils. De moins âgées ou des compagnes déménagent et suivent le prisonnier de prison en prison au gré des transferts, de Clairvaux dans l’Aube à Saint-Maur dans l’Indre, de Saint-Maur à Nîmes, de Nîmes à Ensisheim en Alsace, de là à Moulins dans