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du mal à un mal ? Platon, par la bouche de Socrate, dénonçait déjà dans le Criton l’inadéquation d’une telle réponse. On n’a pas beaucoup avancé depuis.

J’entends bien que les victimes réclament la punition du coupable[1]. On verra que les abolitionnistes insistent particulièrement pour qu’on rende justice à la victime autant qu’à l’accusé. Aujourd’hui dans un procès, la victime craint d’être jugée. Crainte parfaitement légitime, car jugée elle l’est. Est-elle bonne dans son rôle ? Fait-elle la victime comme il faut ? Elle est la justification de la cruauté qu’on s’apprête à faire subir à l’accusé : le spectacle de sa souffrance doit être à la hauteur.

Dans tous les films pour enfants et dans la plupart de ceux pour adultes, à la fin les méchants sont châtiés et le spectateur en est content. La punition procure une satisfaction certaine. C’est un peu moins vrai dans la littérature où la liberté de fouiller ce qui ne se voit pas a permis à de nombreux romanciers de se mettre et de nous mettre à la place de qui a commis la faute. Quelques cinéastes de génie y sont aussi parvenus. Seuls les plus grands créateurs nous permettent de comprendre le crime qui autrement nous échappe, comme il échappe très souvent aussi dans la réalité à la compréhension du criminel.[2]


Le châtiment s’ancre dans l’histoire la plus archaïque de l’humanité, celle des terreurs religieuses que les hommes ont traduites en dieux et déesses au cœur démoniaque. L’enfer chrétien n’a rien à envier à l’enfer hindou[3] et l’affirmation d’un sentiment de culpabilité proprement judéo-chrétien n’est que l’aveu d’une

  1. Nous nous accordons cette licence, nous écrivons je chaque fois qu’avec une certaine familiarité, nous serions tentée de faire quelque aparté du genre « je pense, personnellement… ».
  2. Quand nous écrivons les mots « délinquant », « criminel », « voleur », etc., nous les employons toujours pour désigner des personnes qui se désignent comme telles. Ou bien nous précisons avec des adjectifs tels que « supposé ».
  3. Les damnés y « sont bouillis, broyés, grillés, sciés en petits morceaux » écrit, par exemple, Séverine Auffret dans Aspects du Paradis, Arléa, 2001.