Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/151

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Elle mit Chateaubriand de côté, et recommença à lire Voltaire. Elle n’alla pas jusqu’à Diderot : ses nerfs affaiblis ne comportaient plus une nourriture aussi forte. Voltaire, à la fois esprit fort et déiste, lui convenait au contraire beaucoup. Béranger et Paul-Louis Courier exprimèrent parfaitement cette tendance nouvelle. Le « Dieu des bonnes gens » et l’idéal du roi bourgeois, à la fois libéral et démocratique, dessinés sur le fond majestueux et désormais inoffensif des victoires gigantesques de l’Empire, telle fut, à cette époque, la nourriture intellectuelle quotidienne de la bourgeoisie de France.

Lamartine, aiguillonné par l’envie vaniteusement ridicule de s’élever à la hauteur poétique du grand poète anglais, Byron, avait bien commencé ses hymnes froidement délirants |242 en l’honneur du Dieu des gentilshommes et de la monarchie légitime. Mais ses chants ne retentissaient que dans les salons aristocratiques. La bourgeoisie ne les entendait pas. Béranger était son poète et Paul-Louis Courier son écrivain politique.

La révolution de Juillet eut pour conséquence l’ennoblissement de ses goûts. On sait que tout bourgeois en France porte en lui le type impérissable du bourgeois gentilhomme, qui ne manque jamais de paraître aussitôt qu’il acquiert un peu de richesse et de puissance. En 1830, la riche bourgeoisie avait définitivement remplacé l’antique noblesse au pouvoir. Elle tendit naturellement à fonder une aristocratie nouvelle : aristocratie du capital,