Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de plus naturel. Le peuple, malheureusement, est encore très ignorant ; et il est maintenu dans son ignorance par les efforts systématiques de tous les gouvernements, qui la considèrent, non sans beaucoup de raison, comme l’une des conditions les plus essentielles de leur propre puissance. Écrasé par son travail quotidien, privé de loisir, de commerce intellectuel, de lecture, enfin de presque tous les moyens et d’une bonne partie des stimulants qui développent la réflexion dans les hommes, le peuple accepte le plus souvent sans critique et en bloc les traditions religieuses qui, l’enveloppant dès le bas âge dans toutes les circonstances de sa vie, et artificiellement entretenues en son sein par une foule d’empoisonneurs officiels de toutes sortes, prêtres et laïques, se transforment chez lui en une sorte d’habitude mentale et morale, trop souvent plus puissante même que son bon sens naturel.

Il est une autre raison qui explique et qui légitime en quelque sorte les croyances absurdes du peuple. Cette raison, c’est la situation misérable à laquelle il se trouve fatalement condamné, par l’organisation économique de la société, dans les pays les plus civilisés de l’Europe. Réduit, sous le rapport intellectuel et moral aussi bien que sous le rapport matériel, au minimum d’une existence humaine, enfermé dans sa vie comme un prisonnier dans sa prison, sans horizon, sans issue, sans avenir même, si l’on en croit les économistes, |159 le peuple devrait avoir l’âme singulièrement étroite et l’instinct aplati des