Page:Bakounine - Œuvres t4.djvu/288

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Ils croyaient, eux aussi, parce qu’ils partageaient naturellement et inévitablement les égarements de la masse, et c’est seulement plus tard, à l’époque de la décadence du monde ancien, qu’ils devinrent sceptiques et trompeurs sans vergogne. Une autre raison permet de considérer les fondateurs d’États comme des gens sincères. L’homme croit toujours facilement à ce qu’il désire et à ce qui ne contredit pas ses intérêts. Qu’il soit intelligent et instruit, c’est même chose : par son amour-propre et par son désir de vivre avec ses prochains et de profiter de leur respect, il croira toujours à ce qui lui est agréable et utile. Je suis convaincu que, par exemple, Thiers et le gouvernement versaillais s’efforçaient à tout prix de se convaincre qu’en tuant à Paris quelques milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, ils sauvaient la France.

Mais si les prêtres, les augures, les aristocrates et les bourgeois, des vieux et nouveaux temps, purent croire sincèrement, ils restèrent quand même sycophantes[1]. On ne peut, en effet, admettre qu’ils aient cru à chacune des absurdités qui constituent la foi et la politique. Je ne parle même pas de l’époque où, selon le mot de Cicéron, « deux augures ne pouvaient se regarder sans rire ». Même au temps de l’ignorance et de la superstition générale, il est difficile de supposer que les inventeurs de miracles quotidiens aient été convaincus de la

  1. Bakounine prend ici le mot « sycophante » dans le sens de « fourbe ». — J. G.