Page:Bakounine - Œuvres t6.djvu/195

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très content quand ses amis se compromettent, mais qu’il prend bien garde de se compromettre jamais, et qu’en poussant les autres en avant il se réserve toujours une retraite. Le fait est que, contrairement à toutes ses promesses, il n’avait rien écrit à Londres, ou qu’il avait écrit tout autre chose que ce qu’il nous disait à nous[1].

En même temps que ces pourparlers avaient lieu ou étaient censés avoir lieu avec Londres, — car aucun de nous n’eut jamais connaissance de la correspondance de Becker[2], — d’autres membres de

  1. Bakounine se trompe probablement dans sa supposition que Becker n’avait rien écrit à Londres, ou avait écrit tout autre chose que ce qu’il disait au Bureau central de l’Alliance. Il semble que Becker, pendant un moment, se soit véritablement « emballé » pour l’Alliance ; Marx, dans la Confidentielle Mittheilung qu’il adressa en mars 1870 à ses amis d’Allemagne (et que Bakounine n’a jamais connue), lui en fait un reproche, et le montre comme ayant été, au début, la dupe de Bakounine ; il dit, en parlant des premiers pas de l’Alliance à Genève : « J.-Ph. Becker, à qui le zèle propagandiste fait quelquefois perdre la tête, fut mis en avant ». D’ailleurs, si Becker n’eût pas été de bonne foi à ce moment, on ne comprendrait pas que le refus du Conseil général d’accueillir l’Alliance l’ait fait entrer dans une si violente colère, ainsi qu’il sera raconté plus loin.
  2. Bakounine lui-même était intervenu aussi dans les pourparlers avec Londres. Marx, après avoir pris connaissance du programme de l’Alliance, avait écrit à ce sujet, dans la seconde moitié de décembre, au jeune socialiste russe Alexandre Serno-Soloviévitch, à Genève, en relevant l’expression incorrecte d’égalisation des classes, qui figurait dans ce programme. Serno communiqua la lettre de Marx à Bakounine, et celui-ci, aussitôt, adressa à Marx la lettre suivante (en français), qui a été publiée par la Neue Zeit du 6 octobre 1900 :
    « Genève, 22 décembre 1868.

    « Mon vieil ami, Serno m’a fait part de cette partie de ta lettre qui me regardait. Tu lui demandes si je continue à être ton ami. Oui, plus que jamais, cher Marx, parce que mieux que jamais je suis arrivé à comprendre combien tu avais raison en suivant et en nous invitant tous à marcher sur la grande route de la révolution économique, et en dénigrant ceux d’entre nous qui allaient se perdre dans les sentiers des entreprises soit nationales, soit exclusivement politiques. Je fais maintenant ce que tu as commencé à faire, toi, il y a plus de vingt ans. Depuis les adieux solennels et publics que j’ai adressés aux bourgeois du Congrès de Berne, je ne connais plus d’autre société, d’autre milieu que le monde des travailleurs. Ma patrie, maintenant, c’est l’Internationale, dont tu es l’un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l’être. Voilà tout ce qui était nécessaire pour l’expliquer mes rapports et mes sentiments personnels. »
    [Bakounine s’explique ensuite au sujet de l’expression égalisation des classes et des individus ; il annonce l’envoi des discours qu’il a prononcés à Berne, et parle de sa séparation d’avec Herzen, qui date de 1863. Puis il continue ainsi : ]
    « Je t’envoie aussi le programme de l’Alliance que nous avons fondée avec Becker et beaucoup d’amis italiens, polonais et français. Sur ce sujet nous aurons beaucoup à nous dire. Je t’enverrai bientôt la copie d’une grande lettre que j’écris là-dessus à l’ami César De Paepe…
    « Salue de ma part Engels, s’il n’est pas mort une seconde fois — tu sais qu’on l’avait une fois enterré. Je te prie de lui donner un exemplaire de mes discours, aussi bien qu’à MM. Eccarius et Jung.
    « Ton dévoué,
    M. Bakounine.

    « Rappelle-moi, je te prie, au souvenir de Mme Marx. »