Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/84

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ment, mais en réalité, de chair et de sang, la science n’a pas de cœur. Elle les considère tout au plus comme de la chair à développement intellectuel et social. Que lui font les conditions particulières et le sort fortuit de Pierre ou de Jacques ? Elle se rendrait ridicule, elle abdiquerait, elle s’annihilerait, si elle voulait s’en occuper autrement que comme d’exemple à l’appui de ses théories éternelles, Et il serait ridicule de lui en vouloir, car elle obéit à ses lois. Elle ne peut saisir ie concret ; elle ne peut se mouvoir que dans des abstractions. Sa mission est de s’occuper de la situation et des conditions générales de l’existence et du développement, soit de l’espèce humaine en général, soit de telle race, de tel peuple, de telle classe ou catégorie d’individus, des causes générales de leur prospérité, de leur décadence et des moyens généraux bons à les faire progresser de toutes les manières. Pourvu qu’elle accomplisse largement et rationnellement cette besogne, elle aura fait tout son devoir et il serait vraiment injuste de lui en demander davantage.

Mais il serait également ridicule, il serait désastreux de lui confier une mission qu’elle est incapable de remplir, puisque sa propre nature la force d’ignorer l’existence et le sort de Pierre et de Jacques. Elle continuerait de les ignorer, mais ses représentants patentés, hommes nullement abstraits, mais au contraire très vivants, ayant des intérêts très réels, cédant à l’influence pernicieuse que le privilège exerce fatalement sur les hommes, finiraient par écorcher les autres hommes au nom de la science, comme les ont écorchés jusqu’ici les prêtres, les politiciens de toutes les couleurs et les avocats, au nom de Dieu, de l’État, du Droit juridique.