Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/98

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naturelle, en plusieurs bons dieux matériels, humains, palpables. Jéhovah lui-même, leur Dieu unique, le Dieu de Moïse et des prophètes, était encore un Dieu extrémement national, ne se servant pour récompenser et pour punir ses fidèles, son peuple élu, que d’arguments matériels, souvent stupides, toujours grossiers et féroces. Il ne semble pas même que la foi en son existence ait impliqué la négation de l’existence des dieux primitifs. Le Dieu juif ne niait pas l’existence de ses rivaux, seulement il ne voulait pas que son peuple les adorât à côté de lui. Jéhovah était un Dieu jaloux. Son premier commandement fut celui-ci :

« Je suis ton Dieu et tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi. »

Jéhovah ne fut donc qu’une première ébauche matérielle et très grossière de l’idéalisme moderne. Il n’était d’ailleurs qu’un Dieu national, comme le Dieu slave qu’adorent les généraux, sujets soumis et patients de l’Empereur de toutes les Russies, comme le Dieu allemand que proclament les piétistes, et les généraux allemands sujets de Guillaume Ier à Berlin. L’Être suprême ne peut être un Dieu national, il doit être celui de l’Humanité tout entière. L’Être suprême ne peut être non plus un être matériel, il doit être la négation de toute matière, l’esprit pur. Pour la réalisation du culte de l’Être suprême, il a donc fallu deux choses : 1o une réalisation telle quelle de l’Humanité par la négation des nationalités et des cultes nationaux ; 2o un développement déjà très avancé des idées métaphysiques pour spiritualiser le Jéhovah si grossier des Juifs.

La première condition fut remplie par les Romains d’une manière très négative sans doute : par la conquête