Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/236

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vous expliquer que l’on prétend seulement d’avoir accompli cet afranchissement des serfs. En vue de troubles et de divers dangers dont le gouvernement a été menacé, cette émancipation du servage ne fut autre chose qu’un changement de système d’oppression du peuple. Les serfs d’hier, redevables de corvée à leur seigneur, aujourd’hui sont transformés en serfs d’État. Le fonctionnaire-seigneur est remplacé par le fonctionnaire-commune, et au-dessus de celui-ci plane toute l’administration des fonctionnaires officiels. Ayant remplacé le seigneur, la commune rurale, actuellement, est devenue un instrument aveugle et docile dans les mains du gouvernement, à l’aide duquel il peut facilement maîtriser les paysans.

Quant à la liberté, elle ne leur est pas mesurée plus largement qu’auparavant. Pas un seul paysan ne peut bouger de sa place sans se munir d’un passeport. Or, ceux-ci sont délivrés par la commune qui en prend toute la responsabilité vis-à-vis du gouvernement. La caution solidaire est une excellente chose et elle exerce une action bienfaisante là où la liberté n’est pas bannie, mais chez nous, avec notre système gouvernemental, elle est néfaste. Le paysan de la Russie n’a donc pas de liberté et il ne l’aura pas tant que l’État lui-même existera.

Pas plus que la liberté, le droit du paysan à la terre n’a reçu sa consécration. Car, s’il était propriétaire de cette terre qu’il cultive, pourquoi alors était-il nécessaire qu’il la rachetât ? Et encore, dans quelles conditions la lui fit-on racheter ? Les paysans de toute la Russie se virent obligés d’accepter les plus mauvais terrains, qu’ils durent payer très cher. Ah, mes amis ! Les étiquettes, les symboles, nous les avons